Brasseur d’idées

Nicolas Hay, 31 ans. Comédien professionnel. Ses passions : le théâtre de rue et la dégustation de bières précieuses. La première fait réfléchir les gens, la seconde les incite à discuter. Conséquence, ce Poitevin d’origine a fondé avec des acolytes la Compagnie Arlette- Moreau et La Manufacture de bières, deux entités qu’il vient de réunir dans un même lieu au sud de la ville.

Arnault Varanne

Le7.info

Deux pour le prix d'un. Au cœur de l'avenue du 8-Mai 1945, Nicolas Hay et sa bande ont trouvé le local idéal pour développer leurs activités. Six cents mètres carrés au sud de Poitiers, cinq mètres de hauteur sous plafond, avec un quai de déchargement. Parfait. A gauche, six grandes cuves de fermentation de deux mille litres chacune, et tout le matériel nécessaire à la fabrication artisanale de bières. A droite, le peigne d'Hitler -avec seulement trois dents au milieu-, des costumes d'abeilles, une caravane et (beaucoup) d'autres bricoles. Depuis quelques semaines, La Manufacture de bières et la Compagnie Arlette-Moreau ont emménagé dans les mêmes locaux. Tout un symbole. « Je vois beaucoup de points communs entre la bière et le théâtre de rue, note le Poitevin de 31 ans. D'abord, le côté festif et convivial. Ensuite, le rapport aux sens et à l'interprétation de ce qu'on ressent, qui peut varier d'une personne à l'autre. »

Une bande d'amis

Ne croyez pas qu'il s'agisse de psychologie de comptoir ! Pour Nicolas Hay, l'un ne va pas sans l'autre. Enfin, sauf quand la bière est prohibée dans les rues... C'est d'ailleurs l'arrêté municipal interdisant la consommation d'alcool sur la voie publique, à Poitiers, qui l'a obligé à excentrer le premier Poitou Bières Festival à Buxerolles, en mars dernier. Avec 1 300 personnes présentes, l'association « Poitou ça brasse », dont il est le président, a affiché sa satisfaction.

Entre Nicolas Hay et la bière, c'est une longue histoire, qu'il partage avec ses acolytes Pierre Marty et Blaise Martin. Il y a plus de dix ans, après le bac, ces trois-là ont commencé à alimenter le blog guide-biere.fr avec des notes et des commentaires sur leurs dégustations. Bien avant le boom des microbrasseries, le site était consulté depuis toute la France. Au moment de créer « la Manuf », en 2016, Benjamin Ladjadj a rejoint la bande. Et soixante-dix « associés » ont choisi d'investir de l'argent dans l'affaire, dont certains patrons de bars poitevins. Dernier arrivé, Benjamin était déjà présent avec une quinzaine d'autres au sein de la Compagnie Arlette-Moreau. Tout est lié, on vous dit !

Censure en place publique

Les apparences sont parfois trompeuses. Et ce n'est pas l'homme de théâtre qui dira le contraire. Derrière la bande de potes qui s'adonnent à leurs passions, ce sont bien des trentenaires posés et réfléchis qui mènent leur projet professionnel le plus loin possible. Idem, derrière un groupe d'individus déguisés en abeilles dans les allées d'un magasin poitevin de jardinage, c'est le sort de ces butineuses menacées d'extinction qui interroge. Et en même temps, c'est drôle ! L'exemple n'est pas pris au hasard. C'est l'un des « happenings » initiés par la troupe d'Arlette Moreau il y a quinze jours, dans le cadre de son festival « Emissions de spores ». « Nous lançons des idées et on voit comment réagit le public, souligne Nicolas Hay. Les gens sont assez intelligents pour comprendre seuls. Parfois, ils pensent à des choses que nous n'avions pas du tout imaginées, tant mieux. » Mettre en scène des situations burlesques au milieu d'une place bondée, cet ancien pensionnaire de la Ligue universitaire d'improvisation (Ludi) adore ça. Voilà comment il s'est retrouvé complètement nu avec huit complices face à l'Hôtel de ville, toujours pour les besoins du festival. D'autres fois, la situation s'est révélée plus tendue. On se souvient qu'en juin dernier, le maire de Verrières-sur-Anjou lui avait demandé de quitter sa commune en pleine représentation car il la considérait inadaptée. Un jeu de scène se déroulait autour de deux comédiennes grimées en « migrantes avec tous les clichés qui leur sont liés », assises au milieu des passants avec des pancartes « Cherche mari, svp » et « Besoin mari urgent ». Le fils d'enseignants voulait « crever l'abcès sur ce sujet » comme sur d'autres. A travers cette « censure », c'est finalement la place de l'art dans l'espace public qui a émergé en  problématique.

L'ex-président de Poitiers Jeunes, qui organise le Carnaval et le festival des Expressifs, n'a pas fait d'école de théâtre. Lui, ce qu'il a toujours voulu, c'est « aller vers les gens pour échanger avec eux ». Ce que tout le monde devrait faire finalement. Un verre de bière à la main ou pas.

 

À lire aussi ...