Squats, entre détresse et insalubrité

La préfecture de la Vienne recense sept squats à Poitiers, principalement occupés par des familles de Roms. Au total, quarante personnes, dont vingt-cinq enfants, vivent dans l’insalubrité la plus totale. En coulisses, les associations s’activent pour les mener sur la voie de la réinsertion.

Arnault Varanne

Le7.info

Cet après-midi, Esmeralda s’occupe de son petit frère David en attendant le retour de leur maman. Au premier étage du 75, boulevard du Grand-Cerf, la jeune femme de 17 ans a tiré les rideaux pour atténuer la lumière, radieuse en ce jour ensoleillé. Le parfum d’été qui flotte à l’extérieur contraste avec l’insalubrité dans laquelle vivent Esmeralda, David, leur mère et la douzaine d’autres occupants de l’immeuble. Voilà maintenant deux ans que cinq familles de Roms sont installées dans ce squat, abandonné par un propriétaire négligeant. Sans eau courante, ni électricité. Sans carreaux aux fenêtres ni mobilier décent. « Nous nous débrouillons comme nous pouvons avec ce que nous trouvons dans la rue, explique Esmeralda. Personne ne nous aide. Chaque jour, nous allons chercher de l’eau à la gare, les enfants vont à l’école et nos mères essaient de travailler. Mais nous n’avons pas de solution pour nous sortir de cette situation. »

Le 75, boulevard du Grand-Cerf, est recensé par la préfecture de la Vienne comme l’un des sept squats de Poitiers. Lors d’une conférence de presse, début mai, la préfète a indiqué qu’il serait évacué « dans les prochaines semaines ». Aucun contact ne peut être établi avec le propriétaire de l’immeuble et la situation agace le voisinage. « Ils ne sont pas méchants, mais leurs conditions de vie sont déplorables, reconnaît un employé de Midas. Lorsqu’il fait chaud, l’odeur est insoutenable. Regardez par vous-même, les automobilistes s’arrêtent devant et se demandent pourquoi un bâtiment du centre-ville est occupé de la sorte. »

« Aucune solution pérenne »

En situation de détresse, les familles de Roms attendent « une solution de relogement » (*). Une fois expulsées de leurs squats, elles peuvent être accompagnées par l’association Audacia, missionnée par la préfecture « après évaluation des perspectives d’intégration des personnes ». « Nous travaillons actuellement avec huit familles sur de l’intégration par le travail, de l’apprentissage du français, des parcours de formation..., explique Jean-Marc Jouve, directeur d’Audacia. Une fois qu’elles sont autonomes, nous les aidons à trouver un logement auprès des bailleurs sociaux. » L’accompagnement dure généralement entre un et deux ans.

Au quotidien, les occupants des squats peuvent en outre compter sur le soutien d’associations citoyennes, comme Tzig-In, un projet collectif mené par une dizaine d’étudiants de Sciences Po. « Nous nous battons pour faire connaître la situation de la famille du squat de l’avenue de Nantes, précise Mathieu Gregori, l’un des membres. Aucune solution pérenne ne leur a été proposée et l’avis d’expulsion a été signé il y a un mois. Il est important de savoir que ces personnes, qui sont des tsiganes, ont fui la Roumanie parce qu’elles y étaient victimes de racisme. Elles sont venues pour s’insérer. » Après avoir connu la plus grande précarité, certaines familles de Roms ont pu s’installer durablement à Poitiers. Expulsés du squat du Plateau des Glières en 2013, Radu, Rada et leurs enfants occupent aujourd’hui un logement HLM et vivent pleinement leur sédentarisation. Une situation qu’Esmeralda, David et la quarantaine de squatteurs poitevins aimeraient bien connaître dans un futur proche.

(*) Cet hiver, la préfecture leur a proposé une solution de relogement qu’ils ont refusée.

 

Précaires
Il y a cinq ans, nous avions consacré un sujet à la « Longue route des Roms ». Ostracisée en Roumanie, précarisée dans l’Hexagone, cette population à la culture séculaire peine à trouver sa place en Europe. Il existe pourtant des exemples d’intégration réussie à Poitiers. Patiemment, plusieurs familles y ont construit leur vie, dans un « vrai » logement, avec des enfants scolarisés et avides de culture. Voir leurs semblables vivre dans des squats insalubres interroge sur notre propre capacité à les remettre sur de bons rails, mais aussi sur leur volonté de s’inscrire dans un parcours de sortie de « crise ». Dans les prochains jours ou les prochaines semaines, le squat du boulevard du Grand-Cerf, à Poitiers, sera évacué, nettoyé et sans doute muré. Et après ? Qu’adviendra-t-il d’Esmeralda, David et des autres Roms entassés dans quelques dizaines de mètres carrés ?... On ne peut s’empêcher de faire le lien avec la situation de tous les précaires, à Poitiers et ailleurs. Ceux dont la seule préoccupation consiste à passer la nuit quelque part, jusqu'au lendemain. Ils méritent toute notre attention.

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