Faim de loup

Farid Benhammou. 41 ans. Professeur de géographie en classes préparatoires au lycée Camille-Guérin. Spécialiste du loup et de l’ours polaire. A pris l’ascenseur social pour étancher sa soif de réussite et de connaissances.

Marc-Antoine Lainé

Le7.info

De la fenêtre de sa cuisine, Farid Benhammou jette un oeil à l’extérieur. « Quel vent aujourd’hui ! Ce n’est pas le temps idéal pour être au jardin. » Depuis qu’il s’est installé à Mignaloux-Beauvoir, il y a cinq ans, le Poitevin d’adoption consacre une grande partie de son temps libre au jardinage. « Cette passion est ancrée en moi depuis l’enfance, sourit-il. Lors d’un déménagement, j’avais demandé à mes parents d’emporter un petit arbuste de notre ancien jardin avec nous. Il n’a pas survécu au transport. Je me suis promis de ne plus jamais laisser mourir une plante. » Ce combat, un parmi tant d’autres, Farid Benhammou le mène jusqu’au trottoir d’en face, où il a récemment surpris des agents d’entretien d’espaces verts en train de désherber au glyphosate. « Pour une commune estampillée « Zéro pesticide », c’est intolérable. »

L’histoire de Farid Benhammou a commencé quarante-et-un ans plus tôt, à Lillebonne, en Normandie. Né dans un milieu modeste, d’un père contremaître et d’une mère dame de ménage puis de cantine, l’enfant grandit au sein d’une fratrie de cinq dans la banlieue orléanaise. Attiré très tôt par l’histoire, la géographie et l’environnement, il décroche un bac ES, passe deux années en prépa littéraire, obtient l’agrégation de géographie et file faire sa thèse à Paris. Un bel exemple d’ascension sociale comme on en fait peu aujourd’hui. « J’ai choisi la géographie car je savais que je pourrais travailler sur des thématiques environnementales, sans jamais vraiment m’éloigner de l’histoire non plus », explique-t-il. Pendant ses années de thèse, Farid Benhammou se lance à la découverte des ours et des loups, qui le passionnent depuis l’enfance. « Ces animaux ne laissent personne indifférent. L’ours est assez proche de nous puisqu’il est l’un des seuls capables de se tenir sur deux pattes. Le loup est l’ancêtre du chien... qui est le « meilleur ami » de l’homme. » Ses travaux de recherche et ses nombreux séjours dans les Alpes et les Pyrénées ont débouché sur l’édition de plusieurs ouvrages portant sa signature.

« J’adore enseigner »

Après sept ans comme professeur d’histoire- géographie au lycée de Beaugency (Loiret), Farid Benhammou a débarqué à Poitiers pour prendre un poste vacant en classes prépatoires au lycée Camille-Guérin. « J’adore enseigner, peu importe l’établissement. Mon épouse pouvait me suivre ici, alors j’ai foncé. Nous avons posé nos valises et planté les premiers arbres. » Devenu depuis chercheur associé à l’université de Poitiers, il partage son temps entre ses cours, ses travaux de recherche et « le suivi de nombreux dossiers liés à l’environnement au sens large ». « Je m’intéresse toujours activement au loup et à l’ours, mais aussi aux blaireaux, à la biodiversité en général, aux conséquences de l’agriculture productiviste, au nucléaire, à Notre-Dame-des-Landes, à Bure... » Très critique sur « les dérives étatiques » en matière de traitement des sujets environnementaux, Farid Benhammou n’en demeure pas moins optimiste au regard de certains signaux positifs, tels que « le développement des énergies alternatives, des normes, l’adhésion de nombreuses communes au dispositif « Zéro pesticide », l’amélioration de la qualité de l’eau dans la Loire »... « Ce n’est pas la planète qui est en danger mais l’humanité et les autres êtres vivants. La planète n’a pas besoin de nous, on peut disparaître, elle sera toujours là. »

Un père de famille épanoui

Farid Benhammou ne connaît pas le manichéisme. Chez lui, la pensée est forcément complexe. Citant Montaigne, Jack London ou Konrad Lorentz, il navigue incessamment d’une thématique à l’autre. Intéressé par la géopolitique en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient, l’enseignant a écrit deux ouvrages sur le sujet à destination des étudiants préparant les concours. Le quadragénaire peut animer une conférence sur les cartes dans les débats impliquant les grands carnivores et participer la veille à un débat sur la radicalisation et l’islamisme. Père de deux enfants, il mène une vie « épanouie » dans la Vienne et entend bien poursuivre sur le même chemin. Les postes de direction et les fonctions ronflantes, très peu pour lui. « Dans dix ans, si je suis toujours enseignant et que j’ai le temps de jardiner et de passer du temps avec ma famille, je serai le plus heureux des hommes. »

À lire aussi ...