Renvoyés en Italie, déjà de retour à Poitiers

Le 24 avril dernier, la préfecture de la Vienne a renvoyé cinq demandeurs d’asile en Italie, par avion spécial depuis Poitiers-Biard. Quatre d’entre eux sont de retour. Salomon (*) témoigne de son périple ubuesque.

Steve Henot

Le7.info

Ils pensaient « pointer » au commissariat de Poitiers, comme d’habitude. Mais ce 24 avril, Salomon et quatre autres demandeurs d’asile ont été expulsés de Poitiers par avion, depuis l’aéroport de Biard. Direction Bologne, en Italie, pays par lequel ils sont entrés dans l’Union européenne.

Comme l’a indiqué la préfecture de la Vienne, dans un communiqué, « la réadmission s’est réalisée dans le cadre de l’application du règlement « Dublin III ». « Ces demandeurs d’asile étaient assignés à résidence, dans l’attente de l’organisation de leur transfert vers l’Italie, seul Etat membre responsable de leur demande au regard du règlement « Dublin ». » Mais le retour rapide, ces derniers jours, de quatre des cinq migrants à Poitiers interpelle sur l’efficacité de cette mesure. Et interroge sur sa brutalité.

Rien à manger ni nulle part où dormir

Tout s’est passé très vite. Trop vite même pour Salomon. Ce jour-là, « j’ai appris que l’Italie était d’accord pour me reprendre, se souvient le jeune Nigérian, la vingtaine. Là, je n’ai pas compris. Je n’étais pas prêt à partir. Je voulais appeler un ami pour qu’il m’amène des affaires au commissariat, mais on me l’a refusé. Je n’ai pas voulu signer leur document. De toute façon, on m’a dit que ça ne changerait rien. Quand nous avons commencé à dire non, les policiers nous ont menottés et ont pris toutes nos affaires, tout ce que l’on avait dans nos poches. L’un d’eux nous a même filmés avec son téléphone en riant. » Dans le jet affrété pour les acheminer jusqu’à Bologne, les migrants sont restés les poings liés durant toute la durée du trajet.

A leur arrivée en Emilie-Romagne, « les policiers qui nous ont accompagnés dans l’avion se sont excusés de ce qu’il nous arrivait et nous ont dit que ce n’était pas personnel ». Sur place, Salomon est accueilli sous un pont par des Bangladais, qui lui donnent vêtements et couvertures. A la préfecture, il ne trouvé personne. « Je suis arrivé, je n’avais rien à manger ni nulle part où dormir... Alors que l’on m’avait dit que j’étais attendu ! » Le lendemain, on lui fait comprendre que l’on ne peut rien pour lui. « J’étais dégoûté. Dans le train vers Rome, le seul conseil que les policiers m’ont donné, c’était de mendier… Jamais de la vie ! »

Cinq heures de marche dans la neige

Pour survivre, il se résout à faire les poubelles, à contrecœur. Une détresse dont il a honte. « Je n’avais jamais fait cela auparavant… Je ne mens pas. Je le jure, je le jure ! » Au bout de deux jours dans la rue, sans ressource, Salomon décide de retourner en France avec d’autres migrants, par la frontière franco-italienne. A Montgenèvre, dans les Hautes Alpes, ils croisent la route d’une vingtaine de militants de l’organisation d’extrême-droite Génération identitaire, lesquels les empêchent de rallier l’Hexagone. « Ils nous disaient « No road, no road ! », puis allaient ensuite nous signaler à la gendarmerie. » Avant qu’une échauffourée n’éclate, Salomon et d’autres sont raccompagnés dans une église de Claviere, une petite commune du Piémont (212 habitants).

Mais le petit groupe de migrants est bien décidé à traverser la frontière, quitte à passer par les montagnes sous un mètre de neige. Conscients du danger qu’ils encourent. « Quand tu n’as rien à manger, cela te donne le courage d’y aller. » Ils attendent la nuit, tard, pour s’assurer d’échapper à la vigilance des gendarmes et des « patrouilles » de Génération identitaire. Avec succès.

Après cinq heures de marche ininterrompue, « sept couches sur le dos », la vingtaine de migrants est parvenue, la semaine dernière, à rallier Briançon où des volontaires leur ont offert gîte et couvert. « Matin, midi et soir », s’étonne encore Salomon, tout sourire. Mais d’autres migrants sont attendus. Le jeune homme doit donc partir vers Paris. Il décide finalement de revenir à Poitiers, auprès du 115. Méfiant, il n’est pas allé se signaler à la préfecture depuis son retour et n’entend pas le faire. Au regard du règlement « Dublin », il risquerait de vivre un nouveau voyage en Italie. « Ils sont méchants. Quel est le sens de tout ça finalement ? »

Aujourd’hui, Salomon souhaite rester en France, où il se considère soutenu malgré tout. « Je me sens bien au 115. » Ancien mécanicien, il aimerait suivre une formation en apprentissage pour enfin mener, dit-il « une vie normale ».
 

(*) Prénom d’emprunt.

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