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Sarina Basta, la trentaine. Curatrice au Confort Moderne, plutôt que « conservatrice ». Cette globe-trotteuse née à New York compte à son actif plusieurs expositions d’art contemporain. Elle va à la rencontre de communautés d’artistes ici et ailleurs pour en tirer le meilleur. Signe particulier : a participé à un programme d’expérimentation sur l’art et la politique à Sciences Po Paris.
Elle déambule tranquillement dans les nouvelles salles du Confort Moderne. Sarina Basta est arrivée tout récemment à Poitiers. En octobre dernier précisément. Pourtant, cette jeune femme d’à peine trente ans (elle garde le mystère sur son âge) semble à l’aise dans ce lieu mythique. Peut-être parce qu’elle y passait déjà auparavant, entre New York et Paris, pour humer la richesse des productions locales. Elle a toujours un petit mot sympa pour les collègues croisés dans les couloirs. Et ne manque pas de présenter le plumitif qui l’accompagne, pour faire du lien entre les gens. C’est sa nature.
Les yeux ouverts
De toutes les portes que compte le Confort (et il y en a beaucoup, des grandes, des petites, vitrées, insonorisées...), sa « préférée » est celle qui permet d’accéder au-dessus de la scène principale. Une place privilégiée pour observer les artistes. Savoir ce qu’ils ont de meilleur à donner, c’est son métier. Sarina Basta est curatrice dans le vaste monde de l’art contemporain. Attention, ne dites pas conservatrice de collections. Pour elle, ce terme est synonyme de « cloisonnement ». Son rôle consiste davantage à garder les yeux ouverts sur la production artistique mondiale. Rester en contact avec des communautés d’influences, sans forcément en faire partie. « On parle de prospection, voire de démultiplication. Le curateur a besoin de bouger. Yann Chevallier l’a bien compris. » C’est pourquoi cette diplômée en histoire de l’art, passée par le Sculpture Center de New York et la Fondation Gulbenkian, a choisi de rejoindre le directeur du Confort Moderne. Ils ont déjà travaillé ensemble dans le cadre de la Biennale de l’image en mouvement, à Genève.
A elle ensuite de trouver des « convergences » entre les artistes. « Je m’attache à les mettre en lien avec des enjeux de société. Le monde est vaste et tellement complexe. Soit on est accablé et on se replie sur ce qu’on connaît, soit on se fixe des lignes directrices, un fil rouge », estime Sarina Basta. L’un de ces enjeux, c’est accepter « l’hybridité culturelle »,la montrer à travers des prestations comme celle du poète châtelleraudais Tarek Lakhrissi, apôtre du langage et de l’identité. Le Confort lui a donné carte blanche fin janvier. « Un enfant peut parler plusieurs langues à la maison, mais s’il ne parle pas assez bien le français, l’Ecole le sanctionne, cite-t-elle à titre d’exemple. C’est une forme de violence sociale vis-à-vis des jeunes. Alors que c’est une chance ! Le cadre est parfois oppressif. »
Arts et politique
La langue française, Sarina Basta la maîtrise à merveille, même si elle a vécu les vingt-deux premières années de sa vie aux Etats-Unis. « J’aime beaucoup le potentiel poétique et romantique du français. » Née d’une mère française, mannequin formée aux Beaux Arts de Paris, et d’un père égyptien, scientifique reconverti dans l’humanitaire, cadre à l’Unicef, cette femme « milkshake » a choisi de venir en France pour suivre une formation très spécifique... Un programme d’expérimentation en arts politiques, lancé en 2010 par Sciences Po Paris. Ou comment « représenter les choses publiques controversées », selon son fondateur, Bruno Latour. « Les artistes ont souvent des modes de raisonnement décalés qui reposent sur des outils et des connaissances, une contre-culture ou une communauté. L’idée de cette formation est de mettre en lumière ces systèmes de représentation du monde pour créer la controverse dans le débat public. C’est la base de la démocratie. »
Sarina Basta exprime cette sensibilité politique à travers les artistes qu’elle invite au Confort Moderne. Et n’hésite pas à mélanger l’art plastique et le spectacle vivant grâce aux « Live ! » qu’elle pilote au Confort. Le travail de l’Américain Daniel Turner et de l’ethnologue Jacques Chauvin, exposé à partir du 6 avril, abordera tout un pan de la mutation industrielle locale. Avec ses joies et ses malheurs. « Les curateurs possèdent le pouvoir de déstabiliser les attentes du public, conclut-elle. En donnant du sens à ses choix. » Son enjeu principal.
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