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Emmanuel Ducroux, alias Jules Champaloux. 55 ans. Humoriste itinérant depuis vingt-six ans. Basé à Port-de-Piles, dans le Nord-Vienne. Passe le plus clair de son temps sur les routes de France, à bord de son camping-car. « Manouche » autant que marginal, cet amoureux de la scène porte haut ses valeurs : simplicité et accessibilité.
Rendez-vous est pris au café des Arts, en centre-ville de Poitiers. Tout un symbole. Premier arrivé sur les lieux, Emmanuel Ducroux joue d’entrée la carte de la nostalgie. « Je connais la ville, j’étais à l’école ici. Saint-Joseph, Saint-Stanislas... Je vivais à Dangé Saint-Romain, mais je venais en cours avec Vincent Dubois, que l’on connaît mieux aujourd’hui sous son nom de scène, Maria Bodin. Les profs se rappellent bien de nous ! » Attablé à l’intérieur du bistrot, le quinquagénaire interrompt plusieurs fois son récit pour réclamer que l’on maintienne la porte close. « Elle va se fermer toute seule ?, lance-t-il, sourire aux lèvres à une cliente. Les bonnes manières se perdent. » Il est comme ça. Cash. Et surtout simple.
Toute l’année, Emmanuel Ducroux parcourt les routes de France à bord de son camping- car, allant de ville en village pour présenter son spectacle d’humoriste. « J’interprète sur scène le rôle de Jules Champaloux, un cas social volontaire et volontairement kassos, qui profite du système à fond les manettes. » A mille lieux des Gad Elmaleh, Elie Semoun, Dany Boon et autres stars du rire, il a fait de la province son terrain de jeu. « Tout le monde veut aller s’installer à Paris ou dans les grandes villes, alors qu’il y a énormément à faire à la campagne. Je me produis plus de cent fois par an. Être sur les routes, c’est un kiff (sic). Je ne prends jamais de vacances, parce que j’y suis en permanence. Un jour en Alsace, une semaine plus tard à Biarritz. J’ai la vie parfaite. »
« La déconne, une qualité professionnelle »
Le « déclic » est pourtant venu sur le tard. Jusqu’à ses vingtneuf ans, Emmanuel Ducroux a enchaîné les jobs, loin de la scène. « J’ai eu près de vingt métiers. J’étais incapable de garder un boulot. Vendeur de légumes, coiffeur, employé à l’usine, photographe... Un jour, deux copains DJ m’ont proposé de me donner en spectacle sur un événement. J’ai commencé à me produire régulièrement avec eux. Au bout de trois ans, je suis passé professionnel. » L’humour a toujours été un fil rouge. A l’école, le petit « Manu » et ses copains n’hésitaient pas à « faire le mur pour aller jouer dans un vieux théâtre ». « Quand j’étais jeune et que je ne n’étais pas payé pour ça, on disait que la déconne était un défaut de comportement. Aujourd’hui, on parle de qualité professionnelle. »
A la fin des années 80, le Poitevin décide de tout plaquer pour tenter sa chance dans le monde du spectacle. « Je travaillais chez JCDecaux, je gagnais bien ma vie. J’étais marié, père de deux enfants. J’ai divorcé et pris la route. Mon salaire est passé de 9 000 à 4 000 francs. Mais je vivais enfin ma vie. » Compréhensifs, son exfemme et ses enfants gardent aujourd’hui encore d’excellents rapports avec lui. Voilà maintenant vingt-six ans qu’Emmanuel Ducroux enchaîne les dates. A l’accueil digne des stars, lui préfère un simple plat de pâtes au jambon et une nuit dans son camping-car. « Je vis en marge. N’importe quel couillon devient comédien aujourd’hui. Tout le monde a envie de devenir chanteur ou acteur, d’avoir la gloire. Je m’échappe de tout cela. Je ne suis pas connu et, pourtant, je suis connu partout. » Une sorte d’« artisan du spectacle ».
De 12 à 4 500 personnes
Le mois dernier, Le Monde lui a consacré un portrait dithyrambique. Certains y verraient là une forme de consécration, lui range le papier au rayon anecdotes. « Ma meilleure publicité, c’est le bouche-à-oreille. Je pars du principe qu’une date doit m’en apporter une autre. » Dans le milieu où il évolue, la concurrence n’existe pas. La petite vingtaine d’humoristes « de campagne » fait preuve de solidarité. Le Poitevin, lui, avoue « ne pas manquer de sollicitations ». « Je ne prends pas de gros cachets mais comme j’en fais beaucoup, je gagne bien ma vie. Je refuse que le spectateur paie plus de 15€. Tout le monde doit pouvoir s’offrir un spectacle comique. » Sur ce point, il reproche à la nouvelle génération son manque d’originalité. « L’époque des Fernand Raynaud, Raymond Devos et Bourvil est révolue. Pour moi, le meilleur, le nec plus ultra, qui aurait pu assurer la relève, c’était Dieudonné. Il est parti dans des délires... mais c’était une vraie bête de scène. »
En quasiment trois décennies de carrière, l’ex-écolier pictave a tout connu, du festival d’humour devant plus de 4 500 personnes au petit théâtre de Saint-Yorre. où douze personnes seulement l’attendaient. Sa pire date ? « Une assemblée générale du Crédit agricole. Les mecs n’avaient qu’une envie, c’était de se tirer, après une journée passée la gueule dans les chiffres. » Solitaire par nature, Emmanuel Ducroux a toujours travaillé en solo, s’occupant de tout, du son et des lumières à la communication, en passant par l’entretien du matériel et la conduite du camping-car. « La polyvalence, c’est la clé. » A 55 ans, celui que ses proches appellent désormais « Manouche » n’entend pas se sédentariser. « Je vis ma passion jusqu’au bout des ongles. Le jour où je n’aimerai plus mon métier, j’arrêterai. Mais ce n’est pas demain la veille ! »
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