Le secret des pianistes

Des chercheurs et musiciens poitevins tentent ensemble de dénouer les mystères du geste du pianiste. Quels critères biomécaniques entrent en jeu dans l’interprétation d’une œuvre ? La réponse pourrait être utile, notamment aux professeurs de piano.

Romain Mudrak

Le7.info

Un drôle de spectacle s’est déroulé entre les 20 et 22 décembre derniers, sur la scène du Théâtre-Auditorium de Poitiers. Une équipe de chercheurs poitevins a réalisé une expérience étonnante afin de caractériser précisément la gestuelle du pianiste. A l’origine de cette idée, le professeur de piano et de musique de chambre au Conservatoire de Poitiers, Alain Villard : « Lorsqu’on assiste à un concert, on se dit parfois que tel pianiste est reconnaissable ou que celui-ci produit un son particulier, même quand l’instrument est identique. J’ai voulu savoir quels facteurs biomécaniques entraient en jeu, la frappe des doigts sur les touches, la posture... Cette question intéresse tous les musiciens. Les résultats me seront utiles en tant qu’interprète et, surtout, face aux élèves dans mon activité d’enseignement. » Diplômé en médecine des arts, il pourrait aussi mettre cette étude à profit pour éviter les tendinites et autre « blessures » des musiciens.

Image et son haute définition
Pour cela, Alain Villard s’est associé à deux chercheurs de l’Institut Pprime de Poitiers, l’acousticien Jean-Christophe Vallière et Floren Colloud, connu pour avoir travaillé sur les gestes sportifs d’un certain... Brian Joubert. Mais cette fois, pas question d’améliorer des performances, juste de comprendre. Seize caméras ont été installées sur une structure métallique tout autour du pianiste et de son instrument. Une élève de l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt) de Lyon s’est chargée de la prise de son. En plus des micros en façade, deux « têtes artificielles » ont été do- tées de micros binauraux afin de se rapprocher au maximum des capacités d’écoute de l’oreille humaine. Quatre musiciens « aux styles différents » ont été équipés de capteurs sur le corps, jusqu’aux extrémités des phalanges. Chacun, à leur tour, a interprété le même extrait des « Scènes d’enfants » écrites par Robert Schumann. Les centaines de gigas de données accumulées vont servir à construire des modélisations numériques pertinentes. En bonus, l’enregistrement seul sera soumis à un panel d’une vingtaine d’auditeurs lambda, histoire d’évaluer ce qui est ou non perceptible du public.

Mais le traitement de toutes ces informations va prendre beaucoup de temps. « C’est la première fois que nous associons du son au geste visuel. Ce travail ouvre de nouvelles portes à notre laboratoire », commente Floren Colloud. Nous avons évidemment des pistes pour analyser ces données, mais la méthode et les indicateurs pertinents restent à construire. » Les instigateurs de cette recherche envisagent de présenter leurs résultats lors de la finale du concours international de piano « Reine Elisabeth de Belgique », en 2019. Ce qui promet de belles nuits blanches à écouter Schumann.

© Cyril FRESILLON / Pprime / CNRS Photothe?que

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