Hier
Anne Morel, 48 ans. Metteuse en scène, auteure, comédienne et fondatrice de la compagnie « Sans Titre ». N’a jamais baissé les bras face à l’adversité. Et lutte encore contre les stéréotypes. Sur scène comme dans la vie.
Sa vie est un combat. Un combat contre les normes « aliénantes », le conservatisme « arriéré » et pour le droit « d’exister tel que l’on est ». Son premier cri symbolisait déjà une victoire sur l’adversité. « Ma mère souffrait de la tuberculose, raconte Anne Morel, la « metteuse » (sic) en scène de la compagnie « Sans Titre ». Lors de son accouchement, les médecins l’ont autorisée à pousser trois fois. Ils devaient la sauver, mais pas l’enfant. Ma naissance a été un défi. »
Immédiatement séparée des bras de sa maman, Anne a été placée en pouponnière pour éviter toute contagion. De ses cinq mois loin des siens, elle n’a évidemment gardé aucun souvenir tangible, simplement « une impression très positive de calme et de bienveillance ». « C’était aussi la promesse de retrouvailles, la certitude d’être attendue et déjà aimée. » De l’amour, Anne n’en manquera pas. Animée d’une « grande force de vie », la petite fille a grandi au côté de ses deux soeurs… et de nombreux jeunes de passage. « Que ce soit pour un repas, une nuit ou plusieurs, mes parents accueillaient les enfants et adolescents abîmés par l’existence. Nous étions une grande famille. »
Notez qu’Anne Morel a une définition bien à elle de la famille. Rangez les drapeaux rose et bleu et les refrains sur l’air de « un papa, une maman… » Ces slogans sont très loin de sa réalité. « Qui correspond à 100% à ce schéma là ?, questionne-t-elle. La société attend que nous nous conformions à cet idéal. Mais une famille, bien avant les liens du sang, c’est avant tout les liens créés par l’amour. »
Le théâtre comme éxutoire
La comédienne a fondé la sienne en faisant fi des règles. Et en affrontant les pires obstacles, un à un. Le plus douloureux fut sans doute la perte de son fiancé. Elle n’avait que 23 ans. « Il a été emporté par un cancer du cerveau, à trois mois de notre mariage. C’est un drame, il n’y a pas d’autres mots. Et il m’a marquée à vie. » Sans le théâtre, un exutoire « indispensable », Anne n’aurait peut-être pas eu la force de se relever. « J’ai abandonné le Droit pour devenir comédienne. Quelque part, je devais « transcender le réel ».
La jeune femme est partie étudier à La Sorbonne- Nouvelle, à Paris, et y a rencontré son « meilleur ami », un jeune homme ouvertement homosexuel… avec lequel elle a pourtant eu deux enfants. « C’est une histoire atypique, encore une, lâche-t-elle. Bi, pan, hétéro… Appelez ça comme vous voulez. L’amour ne répond pas à une norme. » Plus fort que toutes les conventions sociales, cet amour-là a cicatrisé une grande blessure. « Nous avons traversé le deuil ensemble, puisque mon ami venait lui aussi de perdre son compagnon du Sida. Lorsque notre premier fils est arrivé, c’est comme si la vie s’imposait à nouveau. Nous ne savions pas si nous formions un couple, mais nous étions, à coup sûr, des parents. » Anne et son compagnon de route se sont séparés après douze ans de vie commune, mais restent en excellents termes. « Il est aujourd’hui marié avec un homme. J’étais son témoin, cela a été un grand moment de bonheur pour moi. Je suis heureuse de le savoir heureux. »
Un discours porteur d'espoir
Dans toutes les pièces écrites par l’« autrice » (elle y tient), un pan de son existence est dévoilé. La cofondatrice du collectif féministe HF Poitou-Charentes(*) se nourrit de ses traumatismes pour les sublimer, en faire quelque chose de plus beau. Et, surtout, prouver que rien n’est immuable. « Noir, homo, transgenre, handicapé, on peut inventer sa vie. On peut tomber amoureux de qui on veut. On peut rester loin de ces assignations normatives. Et je sais de quoi je parle ! » Difficile de le nier, en effet.
« Mon discours est porteur d’espoir, ajoute-t-elle. Les épreuves les plus difficiles produisent de la résilience. » Et de la résilience, Anne, n’en manque pas. Comme si le destin ne l’avait pas assez éprouvée, la mère de famille fut à son tour frappée par un cancer, à l’âge de 38 ans. « Avec mes proches, nous avons fait front ensemble. Les hommes de ma vie ont tous été merveilleux d’intelligence et m’ont parfaitement accompagnée dans ce nouveau combat. » Une lutte acharnée, dont elle est ressortie plus forte encore. Sur le ring de la vie, Anne Morel ne se laissera jamais mettre KO.
(*)Collectif qui lutte contre les inégalités hommes-femmes dans le monde du spectacle.
À lire aussi ...