Autopsie de femmes oubliées

Elle s’intéresse de près à celles qui sont mortes sous les coups de leur conjoint ou mari. Psychiatre et médecin légiste au CHU de Poitiers, Alexia Delbreil présente un profil rare en France.

Arnault Varanne

Le7.info

Il lui arrive d’échanger avec eux au parloir du centre pénitentiaire de Vivonne, pour des expertises psychiatriques. De l’autre côté des barreaux, les auteurs d’homicides conjugaux ont l’apparence de la normalité. « Quand je les rencontre, avance Alexia Delbreil, je ne suis pas face aux grands criminels qu’on voit à la télé. Ce sont des hommes qui ne font pas peur, qu’on pourrait croiser dans la rue. » Des hommes « ordinaires » qui sont « passés à l’acte » et dont l’experte judiciaire près la cour d’appel de Poitiers tente de retracer les mécanismes de déclenchement du geste fatal. « Au-delà d’une forme d’insertion classique, je remarque chez certains d’entre eux des parcours faits d’attachements importants et de ruptures douloureuses, prolonge la psychiatre et médecin légiste du CHU de Poitiers. D’autres ont un besoin de maîtrise très important. »

Son leitmotiv : comprendre et prévenir. Comprendre « le fonctionnement humain », donc ce qui conduit à l’irréparable. Et prévenir les passages à l’acte d’auteurs en puissance. Car c’est là tout le paradoxe. En 2016, dans l’Hexagone, 109 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou mari(*). Avec seulement 20% de situations dans lesquelles la violence conjugale a constitué un préalable. La professionnelle de 36 ans appelle ainsi à la plus grande « vigilance au moment des séparations ». « Un mari un peu plus jaloux, dont le comportement change… Des indices peuvent aider à repérer ces situations. »

« Apporter des éléments à la justice »

« Comprendre » passe aussi par reconstituer le fil des événements. Interroger les enquêteurs. Tenter de déterminer le caractère de préméditation. Et aussi autopsier les corps meurtris, par une strangulation, des coups de couteau, une arme à feu… C’est l’autre versant de son quotidien de médecin légiste. « On est là pour cumuler les éléments de preuve. Aux magistrats ensuite de se prononcer sur l’intentionnalité ou l’acharnement éventuel, de qualifier les actes pénalement. »

En France, ils ne sont qu’une quinzaine comme Alexia à disposer de ce double regard clinique et psychique. Mais ce fut la première, en 2011, à documenter, dans une thèse de cent cinquante-cinq pages, ces homicides si particuliers, dont les auteurs ont l’apparence de la normalité. Depuis, a-t-elle le sentiment qu’une prise de conscience s’opère ? « Oui, d’une certaine manière. Plus de femmes portent plainte, des actions de prévention ont vu le jour et montrent leur efficacité. » N’empêche, le nombre de meurtres conjugaux ne régresse pas. Ça dit sans doute beaucoup des rapports hommes-femmes dans notre société.

(*) 109 femmes et 29 hommes pour être précis. Neuf enfants sont par ailleurs décédés dans l’intimité d’un foyer, tandis que 19 homicides ont eu lieu hors des couples (amants, maîtresses…). 

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