Entre janvier et octobre, plus de trois cent trente mineurs non accompagnés ont été pris en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance. Confrontés à un afflux massif de jeunes migrants, le Département, l’Etat et les associations ne sont aujourd’hui plus en capacité d’accueillir tous les arrivants.
Scène inédite, mercredi dernier, dans les locaux de l’UFR Sciences humaines et art de l’université de Poitiers. Pour dénoncer la situation des mineurs non accompagnés (MNA), un collectif composé d’une vingtaine de Poitevins, pour la plupart étudiants, a investi clandestinement deux amphis pour la nuit. « Une solution rapide doit être trouvée, avec un déploiement de moyens importants », réclamaient les membres d’Université Occupée. Au petit matin, après avoir passé la nuit en compagnie de plusieurs MNA, les manifestants ont été priés de quitter les lieux par le président de l’université, pourtant « favorable à cette cause ». « L’Etat et le Conseil départemental se livrent une partie de ping-pong qui n’est pas à la hauteur de l’enjeu humain », estime Yves Jean.
Les années passent et la situation se tend. Il y a trois ans, la rédaction consacrait un article à l’incapacité du Conseil (alors) général à faire face à l’afflux massif de mineurs isolés. A l’époque, on parlait de quelques dizaines de jeunes par an. Aujourd’hui, on parle de centaines. Entre janvier et octobre, trois cent trente mineurs non accompagnés ont débarqué sur les rives du Clain, en quête d’un toit et d’une solution d’insertion. Sur le seul mois d’octobre, plus de quatre-vingts se sont arrêtés à Poitiers. Seulement voilà, à ce jour, les capacités d’accueil de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sont saturées, du moins en ce qui concerne l’hébergement d’urgence. « Nous avons atteint notre capacité maximale et ne sommes pas en mesure d’accueillir plus de jeunes, malgré les ouvertures de places supplémentaires prévues jusqu’en janvier, explique Frédéric Pierre, directeur Enfance et famille au Département. Leur accueil se fait en deux phases. Une première pendant laquelle nous vérifions leur âge, en collaboration avec les services de l’Etat. Une seconde, où nous engageons un protocole d’insertion. »
« Un sentiment d'insécurité »
C’est sur cette première phase de régularisation que la situation coince. Car bon nombre de jeunes migrants sont en réalité majeurs. « Sur les trois cent trente arrivés lors des huit premiers mois de 2017, 70% ont plus de 18 ans. Nous sommes toutefois tenus de les accueillir tant que nous ne sommes pas certains qu’ils sont majeurs. » En France, la loi est très claire. Tout jeune mineur non accompagné doit être accueilli et accompagné par l’Etat, qui délègue cette compétence aux Départements. Reste que les vérifications d’identité, coordonnées par le ministère des Affaires étrangères, durent parfois plusieurs mois. Avec les outils de communication modernes, les migrants sont informés de cette disposition. Et bien que majeurs, ils tentent coûte que coûte de trouver refuge auprès de l’ASE.
Au fil des ans, l’accueil des mineurs devient un sujet épineux sur lequel peu d’acteurs acceptent de s’exprimer à visage découvert. Les responsables des lieux d’accueil et d’associations que nous avons contactés n’ont pas souhaité apparaître dans ces colonnes. Ils n’en demeurent pas moins convaincus de l’impuissance des collectivités et encouragent l’action collective. Du côté des forces de l’ordre, on constate « que la présence quotidienne de dizaines de jeunes à proximité de la gare crée un sentiment d’insécurité chez les usagers du quartier ». Sans faire d’amalgame, la police note, en outre, « l’apparition d’une petite délinquance ». Dans ce contexte délicat, où les acteurs s’observent sans vouloir se froisser, les rares prises de parole viennent de collectifs citoyens, qui s’inquiètent de l’arrivée de l’hiver et de la baisse des températures. De nouvelles associations se créent et des foyers poitevins ouvrent leur porte aux MNA, par solidarité. Le défi semble malgré tout encore trop grand. Rappelons que, cette année, le Département a consacré plus de 6M€ à l’accueil des mineurs isolés. L’Etat, pour sa part, ne s’exprime pas sur la question pour cause de période de réserve avant les Sénatoriales partielles.