De la Comédie française

Yoann Gasiorowski. 29 ans. Poitevin. Nouveau pensionnaire de la prestigieuse Comédie française. Fan absolu de volley. Et aussi très curieux des choses du monde qui l’entourent. Mens sana in corpore sano.

Arnault Varanne

Le7.info

Il écrit parfois des lettres qu’il n’envoie pas. Mais celle-ci avait franchi le Rubicon de son intimité. Après tout, son « désir » d’intégrer le « Français » devait se savoir. Et si possible sauter aux yeux d’Eric Ruf. Dans un premier temps, l’administrateur de la Comédie française a poliment éconduit Yoann Gasiorowski. Avant de rappeler un an plus tard le jeune comédien de 29 ans, sans « jamais l’avoir vu jouer auparavant ». Le talent du minot de Bonneuil-Matours a fait le reste. L’ancien étudiant du Conservatoire de Poitiers s’est livré à une interprétation très personnelle de l’Abécédaire de Deleuze (*). « En fait, j’ai extrait une lettre, dont j’ai appris le texte par cœur, les silences aussi… L’audition s’est super bien passée ! »

Mi-juillet 2017, deux jours après ce grand oral, le couperet est tombé. Engagé. « J’étais dans mon salon. Je me suis assis. Heureux, même si je savais que je devrais renoncer à certains projets. » A partir de janvier, les allers-retours entre la capitale et la Vienne se feront plus rare. Il le sait et profite donc à fond de ses derniers instants de comédien affranchi. Cette semaine, l’ex-pensionnaire de la troupe des comédiens permanents du Théâtre Dijon-Bourgogne joue presque à domicile, au Nouveau théâtre de Châtellerault. Il s’en délecte d’avance, a fortiori parce qu’il évoluera sous les ordres de Mathilde Souchaud. A l’en croire, la co-fondatrice de la compagnie Studio Monstre est une « metteuse en scène extraordinaire ».

« Fasciné par les coulisses »

Yoann et Mathilde se sont connus au Conservatoire de Poitiers, au sein du Cycle d’enseignement professionnel initial de théâtre (Cepit). Le comédien a joué Don Juan dans « la première mise en scène » de sa camarade de promo. Leurs trajectoires ont ensuite divergé. Lui a pris la direction de l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne, elle celle de l’Ensatt de Lyon. Les années et la distance n’ont pas distendu les liens. Le néo-pensionnaire de la Comédie française cultive la fidélité sur tous les modes. A ses racines d’abord. « Quand je suis à Paris, je pense à la campagne, pas l’inverse... » Et ses premiers émois de jeune spectateur de remonter à la surface. « Ma mère avait sa propre troupe à Bonneuil. Les jours de spectacle, j’étais fasciné par les coulisses. J’adorais quand les gens riaient. » Il serait capable de disserter des heures sur ces « moments de joie », sa « maquette Playmobil » en forme de théâtre, les cours d’Isabelle Feuillet, etc.

« Une étape supplémentaire »

Le licencié d’Histoire se montre aussi intarissable sur le palmarès du Stade poitevin volley. Son passionné de paternel (Romek, ndlr) n’y est pas étranger. « Entre 1996 et les années Lecat, je crois que j’ai une connaissance absolue de l’histoire de ce club ! », plaisante-t-il. Tous les week-ends, où qu’il soit, il jette encore un coup d’œil aux résultats du SPVB. Au-delà, ce « flemmard contrarié qui adore bosser » (sic) confesse une autre marotte : la géopolitique. Et un autre besoin : « comprendre le monde dans lequel je vis. » Il s’est ainsi plongé « Dans la tête de Vladimir Poutine » (Actes Sud, 2015) et explore aujourd’hui les tourments de l’Arabie saoudite. « Il y a un moment de ma vie où je me suis même intéressé à la géologie. J’avais besoin de sentir que ce qu’on vivait n’était rien par rapport à l’histoire d’une roche. Ça me rassure parce que j’aurais tendance à être vite angoissé. » On le sent pourtant serein, réfléchi et prompt à se nourrir de tout pour le réinvestir sur les planches. Du reste, le virage qu’opère La Comédie française colle avec ses aspirations de modernité.

Il interprétera son premier rôle dans le Faust de Goethe, mis en scène par Raphaël Navarro et Valentine Losseau, au Théâtre du Vieux-Colombier, du 21 mars au 6 mai. Les premières répétions sont prévues en janvier. Plus tard, l’attendra un autre spectacle sur le thème des « radios libres ». « J’entre à la Comédie française sur des pièces que j’enviais à cette nouvelle troupe ! » La douce euphorie de juillet le comble d’un égal bonheur, même s’il évoque juste « une étape supplémentaire » dans une carrière « jamais calculée ». La preuve, c’est le seul comédien du « Français » à ne pas avoir d’agent. « Patient » et « perfectionniste », il ne veut pas brûler les étapes. « Je serai jugé par mes pairs. » Des pairs auxquels il entend prouver que son « désir » est contagieux.

(*) Série d’entretiens télévisés accordés par le philosophe Gilles Deleuze à la télévision française et découpés en vingt-cinq chapitres. D’où le nom d’Abécédaire.

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