Saïd Boucenna, 42 ans. Artiste peintre et calligraphe. Connu du grand public pour ses fresques géantes réalisées à la bombe. A travers son art, cet autodidacte né en banlieue parisienne transmet ses valeurs de travail et de solidarité aux ados dans les écoles et les maisons de quartier.
C’est un « héros malgré lui » ce conseiller principal d’éducation, qui a poussé le jeune Saïd Boucenna dans ses retranchements, à la fin des années 1980. Dans la cité d’Argenteuil, on l’appelait le « censeur ». Il passait son temps à « allumer » les collégiens qui n’étaient pas faits à son image. Et pourtant, l’adulte Saïd Boucenna, devenu artiste graffeur, a tenu à le faire apparaître dans son exposition sur les « héros de notre enfance », actuellement au Local. Sur une affiche de cinéma revue et corrigée, un homme accable un enfant de tous les maux. Des bombes de peinture et des baskets Adidas ont été ajoutées à l’image originale pour « correspondre à l’époque ». « C’est un peu grâce à lui que je suis devenu ce que je suis aujourd’hui. Je le sais. Lui, en revanche, ne le saura jamais. »
Un épisode apparaît fondateur dans le récit de sa vie. Un jour, le CPE a mis l’ado « plus bas que terre », devant sa mère. « J’avais été repéré par un responsable du pôle judo de Poitiers. Ce CPE ne croyait pas en mes capacités. Ma mère n’était pas favorable à ce que je parte, mais ce jour-là, elle a pris mon parti. » Voilà comment Saïd Boucenna, né en région parisienne en 1975, a quitté, à 17 ans, la banlieue grise pour le cadre verdoyant du Creps de Boivre. Anecdotique ? Au contraire. « Je suis du genre rancunier. A partir de ce jour-là, j’ai tout fait pour prouver à cet homme qu’il avait tort. »
Son credo, la bienveillance
Certains profs lui promettent une carrière de médecin, grâce à ses prédispositions en maths. De quoi faire rêver ses parents émigrés de Kabylie. Ce n’est pas son souhait. Le jeune athlète s’entraîne d’arrache-pied sur les tatamis et continue en parallèle le graff sur les « murs de libre expression », à Poitiers. Cette passion l’emporte vite. Il apprend seul, « avec beaucoup d’acharnement ». Peu à peu, il se fait connaître dans les maisons de quartier, donne des cours de calligraphie arabe sur les temps périscolaires, intervient même en prison. Ancré dans son époque, ce père de deux filles, marié depuis quatorze ans, promeut des valeurs profondes faites de respect des anciens et de solidarité. Celles véhiculées dans sa cité quand il était petit. « Les uns veillaient sur les autres, c’était un village. »
Lorsque des jeunes en galère, qui ne se connaissent pas, parviennent à œuvrer ensemble pour redonner des couleurs à un mur vieillot, Saïd a le sentiment du devoir accompli. C’est ce qui s’est passé en septembre, à la Mission locale d’insertion de Poitiers. Le groupe est ressorti soudé, un peu mieux armé pour affronter le monde. La bienveillance est son credo. « J’ai toujours été dans la compassion. Quand on produit un livre ou une fresque avec des jeunes un peu perdus ou qui n’ont rien, ils sont fiers d’être enfin capables, et qu’on les reconnaisse pour cela. Des choses anodines deviennent hyper importantes. J’aurais voulu qu’on fasse cela pour moi. » Ce n’est pas de l’art-thérapie, mais presque.
En quête d'identité
Une chose est sûre, Saïd Boucenna n’est pas près de reprendre le chemin de la cité. « J’ai besoin de calme », assure- t-il d’une voix douce. Depuis quelques années, il a installé son atelier à Bonneuil-Matours, dans l’ancienne demeure du poète Maurice Fombeure. « Vous allez trouver ça étrange, mais je ressens les lieux. Ici, je me sens bien. » Éloigné mais pas coupé du monde, l’artiste s’interroge beaucoup sur l’identité des hommes et des femmes qui le composent. Réunis au sein de la compagnie Cortex, son ami Sébastien Midonet et lui ont créé deux spectacles sur ce thème, en 2007 et 2010. Un savant mélange de danse hip-hop, de calligraphie et de light-graff, qui pourrait bien renaître sur scène dans les prochains mois.
La dernière commande du Local a obligé Saïd Boucenna à pas mal cogiter. Qu’est-ce qu’un héros ? « J’ai beaucoup de réflexions personnelles sur le monde et ses ambiguïtés. Sans ses ennemis, Batman n’existerait pas. » A côté des personnages de comics et de mangas, apparaissent Nelson Mandela, Rosa Parks, Tank Man (*) ou encore Che Guevara, dont le parcours ne manque pas de susciter le débat. Peut-être un héros n’est-il qu’un homme ou une femme, comme les parents de Saïd, qui ont décidé de quitter leurs pays, culture, amis et famille pour « donner une chance supplémentaire de réussir à leurs enfants » ? Sans se plaindre. Des héros du quotidien.
(*) Ce Chinois pris en photo face à une colonne de chars, sur la place Tian’anmen en 1989.