Pierre Debien. Un certain âge qu’il ne souhaite pas dévoiler. Plasticien, peintre et sculpteur à la renommée internationale. Partage son temps entre la Haute-Vienne et l’île de Ré. Indissociable de son épouse, Annick, rencontrée à Poitiers pendant ses études.
Rarement artiste n’aura eu autant de portes ouvertes en même temps. Véritable touche-à-tout de la culture, Pierre Debien n’a pas (encore) le don d’ubiquité. Quoique… Ces dernières semaines, d’aucuns ont aperçu ses œuvres à la chapelle Saint-Louis, au musée Sainte-Croix ou encore au Local. A l’instar de François Rabelais, le natif de Fontenay-le-Comte a un appétit gargantuesque. Et une imagination débordante, au point de confronter les mots de l’époque à ceux inventés par l’auteur de Pantagruelle (1534). « Petit, j’ai très vite été sensibilisé au livre, à l’écriture et à la lecture. Mon père étant écrivain, j’ai découvert assez tôt Le Torchecul, qui m’a fasciné, davantage d’ailleurs pour les illustrations de Gustave Doré. »
Avant de tomber sur ces écrits délicieusement subversifs, Pierre Debien se souvient d’une autre anecdote tout aussi marquante, au sens propre du terme. Il devait avoir 4 ans lorsqu’il se décida à gribouiller sur son lit… rose. Au point de s’attirer les foudres parentales. « J’en ai mis partout sur les draps. Ça m’a suffisamment marqué pour que je recommence ! » Dès son plus jeune âge, cet inclassable électron libre a cultivé le goût des couleurs, des matières et de l’anticonformisme. Il jure n’avoir « jamais eu d’autres projets que ceux qu’il pouvait réaliser ». « Et comme dessiner m’apportait du plaisir… » Les études scientifiques, à Poitiers ? « Parce que c’était ce qu’il y avait de plus facile et que l’objectif de les réussir était réalisable ! » Sa rencontre avec Annick, épouse et compagne artistique de tous les instants ? « On s’est rencontrés autour de Rabelais. C’est extraordinaire, non ? »
De Miami à Penza
« Sans un sou », mais « amoureux », Pierre et Annick cheminent ensemble depuis une paire d’années. Combien ? Le co-fondateur du centre d’action culturelle d’Angoulême garde secrets les éléments d’état civil qui « figent trop les gens dans une époque ». Passons. L’essentiel est ailleurs dans son parcours artistique jalonné de rencontres. Et notamment celle avec un marchand d’art américain. « Un jour, nous l’avons croisé dans une expo. Il a aimé mon travail sur les bois peints et m’a dit : « J’en veux un container ». » Les Debien croient à une blague, jusqu’à ce qu’un camion vienne chercher ses œuvres. Direction Miami, via les Bahamas. « Ce fut le coup d’envoi d’une aventure forte. »
« On a deux arbres à notre nom »
Pendant des années, ils sont retournés en pèlerinage à Coconut Grove, heureux de cette réussite à l’accent américain. Qui contraste avec leurs racines limousines, à Saint-Sauvent exactement. Depuis 1994, leur château leur sert de « repaire » et d’atelier autant que de vitrine de l’art… international. Au cours des deux dernières décennies, « des artistes du monde entier » ont foulé les terres de la Haute-Vienne. Eux ont noué des relations solides avec un milliardaire russe fan des œuvres du plasticien. « A Penza, on a même deux arbres à notre nom, c’est dire », plaisante-t-il sans forfanterie. Loin de regarder dans le rétro, Pierre Debien se nourrit sans cesse de nouveaux « projets ». C’est sa manière à lui de se sentir vivant. Et a priori, la manière avec laquelle ses enfants et petits-enfants envisagent aussi leur existence. Son fils est professeur de médecine au Centre d’enseignement en soins d’urgence du CHU de Montpellier. Sa fille, avocate au barreau d’Angoulême et spécialiste des droits d’auteurs. « Si vous avez besoin d’une avocate, elle est excellente », sourit son père. Et si c’était ça, finalement, leur plus belle réussite, une certaine idée du bonheur ? « Je ne me pose pas la question en ces termes, en tous cas pas maintenant. »
Pierre Debien assume son relativisme -en dehors de la maladie, qui l’a touché une fois- et sa propension à « remettre à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui ». « Je lui dis souvent », témoigne son épouse. Qui lui reconnaît toutefois une qualité fondamentale : « Il ne s’énerve jamais. » Excepté pour dénoncer « la connerie qui nous entoure ». Dans sa bio, il est écrit ceci : « Toujours prêt à s’insurger contre tout ce qui est d’ordre manichéen, tout ce qui supprime le droit au doute et à la liberté de penser autrement. » En creux, se dessine le portrait d’un certain Rabelais. Simple hasard ?