Un homme debout

Benoît Mousserion, 40 ans. Fondateur de la compagnie L’Homme Debout. Fabrique des marionnettes géantes qui apportent un regard poétique sur notre monde. Rêve d’une société davantage tournée vers la bienveillance.

Florie Doublet

Le7.info

Benoît Mousserion a toujours vu les choses en grand. Enfant, les cabanes qu’il construisait avec son frangin dans les prairies d’Anché avaient des airs de châteaux. Aujourd’hui, le créateur de la compagnie L’Homme Debout érige des marionnettes en osier, d’une hauteur comprise entre six et huit mètres. « En fait, j’assemble toujours des petits bouts qui font un tout, expose-t-il. Ce sont des bonheurs simples. »

Depuis 2011, ces géants de paille prennent vie et narrent des aventures extraordinaires. De belles histoires de voyages, mais aussi de douloureux souvenirs d’exils. « Cela fait maintenant cinq ans que nous traitons de la thématique des déplacements et il reste tant à dire, affirme Benoît. Je comprends cet attachement aux racines, ce besoin profond de se rappeler d’où on vient. Qu’importe où nous allons, notre coeur reste toujours ancré quelque part. »

Celui de Benoît bat encore dans la campagne anchéenne. Le marionnettiste n’a pas eu besoin de partir bien loin pour se sentir déraciné. Alors qu’il n’avait que 10 ans, ses parents agriculteurs ont divorcé. « Nous avons dû quitter la vaste ferme familiale pour une petite maison à Couhé, raconte-t-il. J’ai laissé derrière moi une part de mon identité. »

L’apprentissage de la résilience 

Benoît n’a rien oublié des joies de son enfance. Il retourne souvent dans cette prairie entourée d’eau, surnommée « la grande île », où il construisait ses cabanes. « C’est vraiment un endroit magique, plein de poésie », affirme le père de famille de 40 ans. Une madeleine de Proust qu’il a déjà fait goûter à Balthazar, son fils de 3 ans. « Il y a quelques jours, nous avons fait du canoë ensemble là-bas, c’était formidable. J’aimerais l’y emmener autant que possible, pour qu’il vive ce que j’ai vécu. »

Benoît n’est pas nostalgique, simplement reconnaissant. Reconnaissant d’avoir été élevé avec l’amour pour seule boussole. « Après sa séparation, ma maman s’est retrouvée seule pour nous éduquer, mon frère et moi. Elle nous a transmis de belles valeurs. Qu’importe les épreuves, la vie reprend toujours le dessus et l’espoir nous rend plus fort. Elle n’était peutêtre pas très cultivée, mais sa philosophie nous a permis de grandir sur des bases solides. »

En psychologie, ce phénomène est appelé résilience. Un concept vulgarisé par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. « Je me suis inspiré de ses recherches pour créer notre dernier spectacle, Le Ruban Rouge, explique l’artiste. C’est l’histoire d’un enfant traumatisé parce qu’il a quitté son pays en guerre. Ce traumatisme est symbolisé par un ruban rouge. Mais ce même ruban est aussi le lien avec ses origines, sa famille, ses amis. C’est une part de lui… »

Le résultat d'une guerre

Cette création de L’Homme Debout ne sera pas présentée avant le printemps 2018, mais Benoît Mousserion y consacre toute son énergie. D’une certaine manière, Le Ruban Rouge le relie à un épisode de son adolescence qui l’a « profondément marqué » . A 16 ans, le lycéen d’Alienor d’Aquitaine s’est engagé au sein de l’association « Enfants réfugiés du monde ». Pendant les vacances scolaires, il a multiplié les missions humanitaires en ex-Yougoslavie. « J’y ai vu le résultat d’une guerre. Tout était détruit. Aujourd’hui encore, je revois des visages, je me souviens de certaines odeurs. Il suffit d’un feu de poubelle pour que je sois replongé dans ce chaos. »

Benoît sait qu’il ne va pas « changer le monde », mais à sa « petit échelle » il tente de « peindre avec de jolies couleurs un bout de la toile de notre mémoire collective ». Grâce aux chantiers participatifs lancés par la compagnie, ce passionné de films d’animation a rencontré des gens aux parcours extraordinaires. En fabriquant des marionnettes, il se forge aussi des principes. « Je crois que nous devrions être davantage bienveillants les uns envers les autres. Nous devrions nous nourrir de cette richesse culturelle, plutôt que d’en faire un handicap. On n’arrive à rien chacun de son côté. » Il faut parfois des centaines de mains tendues pour réussir à remettre un seul homme debout.

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