Christophe Souchaud. 53 ans. Navigateur au grand cœur. A tout plaqué, en 2008, pour changer de vie et s’accomplir dans la voile. Prépare sa deuxième Route du Rhum. Et fait régulièrement naviguer des personnes handicapées, sous la bannière de Cap Handi. Signe particulier : une soif inextinguible d’eau salée.
Dans la vie, accomplissement professionnel ne rime pas toujours avec aisance pécuniaire. Demandez donc à Christophe Souchaud où a failli le mener son train-train d’enfer. Après trente-cinq piges à « travailler comme un âne » dans les TP et le bâtiment, le chef d’entreprise a dit stop. Brutalement. C’était il y a près de dix ans. Et le patron de boîtes -jusqu’à quarante salariés- ne regrette rien de sa vie d’avant. « J’ai bossé H24, sans voir grandir mes enfants. J’avais tout ce que je voulais : une baraque, des bateaux. Et puis, à un moment donné, je n’en pouvais plus. Il fallait que j’arrête, c’était vital. Sinon… » On devine à son ultime soupire que sa corde sensible était au point de rupture.
Aux flonflons de l’argent, le quinqua a préféré l’appel du large. Quitte à réduire son train de vie de manière drastique. « On n’en vit pas de la mer, j’ai plein de copains qui sont aujourd’hui à la rue. Moi, j’habite aujourd’hui dans une petite maison de la cité des Castors. Je suis salarié de Cap Handi à mi-temps annualisé, pour 1 500€ par mois. Ma famille a moins bien vécu la transition. » Et pour cause, Pierre (28 ans), Jules (26 ans) et Anna (24 ans) étaient tous les trois étudiants au moment de la bascule « terre-mer ». « Ça a était chaud ! Pendant un temps, Anne était au Puy-en-Velay, Pierre à Toulouse et Jules au lycée maritime de La Rochelle. Avec du recul, qu’est-ce que ma femme a bien réagi… »
Rapatrié fissa
C’est sur cet équilibre familial solide que le marin « solitaire » à la fibre solidaire a construit sa nouvelle vie. Une existence sur l’eau, comme au bon vieux temps de ses premières amours antillaises. Son paternel, prof de gym coopérant, lui a inoculé le virus de la voile. Des cours, l’ado en a séchés un paquet pour mouiller aux Synthes, à Saint-Martin ou ailleurs. « Jusqu’à ce que mon père s’aperçoive, lors d’un conseil de classes, que le prof de maths ne m’avait pas vu de l’année. J’ai été rapatrié fissa par l’ambassade ! » Il en plaisante aujourd’hui au coin du zinc, comme s’il avait retrouvé l’insouciance de ses jeunes années.
« Bien dans ses pompes », l’ancien patron donne aujourd’hui dans une forme de navigation altruiste. A longueur d’années, il embarque sur Sochris nine des personnes handicapées, pour leur faire éprouver les sensations du large, de la baston avec la houle aux mers moins tourmentés. Une histoire démarrée à l’occasion de la Route du Rhum 2014, en partenariat avec l’Association sportive, sociale des handicapés et adhérents valides (Asshav 86). Après avoir achevé la mythique Transatlantique à la 13e place, le skipper avait profité de la route du retour -Pointe-à-Pitre-Aix- pour embarquer des paraplégiques.
« Une grande leçon de vie »
Son regard (sur eux) a changé du tout-au-tout. A chaque sortie hauturière, d’au minimum « trois-quatre jours », Souchaud le nouveau héraut prend « une grande leçon de vie ». « Il faut vivre avec eux en mer pendant plusieurs jours pour comprendre ce qu’ils endurent. Ça te ramène à beaucoup d’humilité. Et en même temps, quand ça secoue beaucoup, ils sont plus vaillants que les valides. Ils n’ont rien à perdre. » Le Cap Handi du trio Christophe Souchaud-Jean-Michel Bernard-Yann Salaün a embarqué près de trois cents personnes l’an passé. A des conditions financières très accessibles. Parce que la dimension solidaire de son projet est solidement ancrée, l’association se fait un devoir de proposer des sorties « hyper accessibles ».
Au-delà de ces « virées » communes et roboratives, Christophe Souchaud apprécie aussi la solitude des vieux loups de mer. Au « courage », le Poitevin est capable de « partir trois semaines » sans donner de nouvelles. En compétiteur-né, il lorgne la Route du Rhum 2018, « peut-être sur un monocoque ». L’ivresse du large et la promesse d’un retour à plusieurs lui arrachent un sourire large comme ça. En attendant, le voilà depuis le 1er octobre accompagnateur officiel de la Mini-Transat 2017, à laquelle participe un autre Poitevin, Luc Giros. Après une halte à Las Palmas -trois semaines à « faire la tournée des bistrots »-, il repartira avec « les p’tits bouts » vers les Antilles, où un programme avec l’Alefpa l’attend au premier trimestre 2018. Une année où il ne devrait pas beaucoup toucher terre. Au sens propre, comme au figuré. Pour un type qui se voyait six pieds sous terre, la résurrection est spectaculaire !
(*) En 26 jours, 2 heures, 44 minutes et 30 secondes.
Plus d’infos sur www.caphandi.fr