Le serpent dans la peau

Léa Pierrefitte, 23 ans. Soigneuse à la Planète des Crocodiles. Entretient une passion dévorante pour les reptiles, au point d’être devenue l’une des références françaises dans le domaine. Signe particulier : héberge à domicile une quinzaine de serpents venimeux... en toute légalité.

Les cambrioleurs sont prévenus. Toute intrusion dans cette maison située à l’ouest de Poitiers sera punie... de mort ! Un panneau collé à la fenêtre annonce la couleur. Chez Léa Pierrefitte, une pièce entière est dédiée aux serpents. Et la plupart ont la capacité de tuer un homme en moins de trente minutes. Une quinzaine de reptiles vivent là, tranquillement, sous la lumière tamisée de leur vivarium. « Il m’arrive de leur parler. Les serpents sont très intelligents, ils développent des stratégies poussées pour se dé- fendre ou attraper leurs proies. Ils sont aussi assez expressifs quand on les observe bien. » Victimes de légendes urbaines, ces animaux sont craints. Léa les aime vraiment. Pourtant, la jeune femme de 23 ans n’a rien d’une déséquilibrée en mal de sensations fortes. Elle a même plutôt la tête sur les épaules, à en croire l’expérience et les diplômes accumulés malgré son jeune âge. Derrière un visage candide, se cache une maturité exceptionnelle. Elle a fait de sa passion un métier. Soigneuse à la Planète des Crocodiles de Civaux, Léa Pierrefitte est, en France, l’une des quinze titulaires du certificat de capacité dans le maniement de reptiles venimeux.

La maman des serpents
Tout a commencé à l’âge de 5 ans. La fillette s’amuse à extraire des lézards des murailles. « Je me cachais au pied du muret et ne laissais sortir que ma main à l’aveugle. » Jusqu’au jour où elle a croisé le chemin d’une vipère. « Je suis restée vingt minutes avec les mains posées dessus craignant de me faire mordre. Au bout d’un moment, j’ai tout lâché etjemesuismiseàcourir!» Elle ne le savait pas encore, mais cette espèce est inof- fensive pour les humains... L’histoire s’est bien terminée. Mais le « traumatisme » l’a incitée à se documenter. De découvertes en surprises, elle est devenue incollable. « Depuis ce jour, je répète à tout le monde que la différence entre la peur et la passion, c’est la connaissance. » Aujourd’hui, les noms latins n’ont plus de secret pour Léa. « Il vaut mieux car, en cas d’accident, je dois être précises face au médecin.» Ses compétences sont reconnues dans la communauté des « zookeepers ». Chaque année, elle se rend en Allemagne pour participer à une bourse d’échange de reptiles. Les plus grands parcs interna- tionaux sont présents. Près de 5 000 « amis » apprécient et commentent ses publications sur Facebook. Comme cette photo de « Green Bush Snake » aux reflets turquoises, joliment accompagnée du statut « So Cute ». « Je suis la seule dans le monde à avoir réussi sa reproduction en captivité. A force d’observation, j’ai compris pourquoi les autres n’y arrivaient pas. » Ça n’a l’air de rien, mais ce succès devrait permettre à cette espèce très prisée d’être plus tranquille dans son milieu naturel. Du moins, elle l’espère. Dans le grand inventaire des reptiles, Léa Pierrefitte est même à l’origine d’une découverte étonnante. La vipère des feuillages (Atheris squamigera), très impressionnante avec ses écailles dressées sur le crâne, possède… un cousin : « J’avaisles deux sous-espèces chez moi. Elles se ressemblaient beaucoup, mais mais se comportaient différemment, notamment au moment de la reproduction. J’ai décrit les spécificités de la nouvelle espèce et envoyé mes conclusions au Muséum d’his- toire naturelle de Paris. »

« Je n'ai rien à prouver »
Il paraît que l’univers des amateurs de serpents est séparé en deux catégories : ceux qui ont été mordus et ceux qui vont l’être. Léa Pierrefitte est encore indemne. « Je ne crois pas à cette théorie. Les serpents n’attaquent pas spontanément. Il faut les respecter. Et puis, je ne les manipule jamais à mains nues et je fais très attention au protocole. Je n’ai rien à prouver, contrairement à certains gars. » La pédagogie est son credo. Cette jeune femme dégage un magnétisme naturel qui rassure face au danger. Comme ce jour où elle a convaincu un ado effrayé de toucher une cou- leuvre, à la fin d’un atelier qu’elle animait sous la serre de Civaux. « Ce qu’on fait subir aux serpents est injuste. On les massacre sans raison, surtout en France où les morsures ne sont pas mortelles. Un Doliprane suffit à chasser la douleur ! Souvenez-vous que des venins sont utilisés dans la com- position de médicaments. »

Dans chaque serpent, il y a un petit cœur qui bat en somme. Le sien s’emballe à la vue d’un Cobra du Cap. Elle en a six... en comptant celui qui est tatoué le long de son bras droit. Léa a le serpent dans la peau. Et son homme dans tout cela ? Il accepte ! « Tant qu’ils restent dans leur pièce, porte fermée », témoigne l’intéressé. Le Tégu rouge que possédait Léa il y a quelques années n’a pas eu les mêmes faveurs. Ce grand lézard inoffensif d’Amérique latine, aux faux airs d’iguane, mesurait 1,5m et se promenait librement dans la maison... Pas commun ! Et pas vraiment du goût de l’autre mâle du foyer. Exit le reptile ! De toutes façons, les serpents venimeux sont beau- coup plus efficaces contre les cambrioleurs.