Gilles Le Grand

Gilles Kéo, 39 ans. Directeur de l’association « Un Hôpital pour les enfants », au CHU de Poitiers. Signe particulier : ne baisse jamais les bras, même quand les obstacles paraissent infranchissables.

Florie Doublet

Le7.info

Gilles Kéo est le seul de sa famille à porter un prénom français. Une originalité que le directeur de l’association « Un Hôpital pour les enfants » doit à l’histoire de ses parents. En 1976, son père et sa mère fuient le Laos et la répression du régime communiste. Ils laissent derrière eux amis, maison et souvenirs. Gilles, le petit dernier de la fratrie, naît dans un camp de réfugiés à Bangkok. Il n’a que deux semaines lorsque sa famille débarque à Paris. « En arrivant à l’ambassade de France, mes parents étaient bien embêtés lorsque l’agent leur demanda de décliner mon identité car, au Laos, on ne donne un prénom au bébé qu’à la fin de sa première année. On le choisit en fonction de sa personnalité et de ses traits de caractère. Dans la précipitation, ils m’ont appelé Gilles. »

À 39 ans, le Poitevin de coeur n’a jamais mis les pieds dans le pays qui aurait dû être le sien. Pour ses quarante printemps, en mai prochain, il planifie un beau voyage à la découverte des paysages de la péninsule indochinoise « Je suis curieux de voir l’endroit où j’aurais pu grandir », souffle-t-il, songeur. Aujourd’hui, il ne peut qu’afficher sa « totale incompréhension » face aux discours xénophobes. « Il faut avoir un sacré courage pour tout quitter. Ceux qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie n’ont pas d’autre choix. C’est une question de survie. Nous n’avons pas le droit de détourner le regard face à ce drame humanitaire. »

« Un racisme qui ne dit pas son nom»

Gilles ne déteste rien de plus que les injustices, lui qui a dû en affronter plus d’une. « Trouver un boulot avec mon nom a été une véritable gageure ». Peu le savent, mais son véritable patronyme est Kéoheuangpraseuth. « J’ai fini par le raccourcir en Kéo sur mes CV. C’est plus facile à prononcer et, surtout, j’en avais marre de ne jamais recevoir de réponse des recruteurs. C’est un racisme qui ne dit pas son nom et qui reste difficile à prouver. »

Sa persévérance et sa ténacité lui ont toujours permis de franchir les obstacles. « Je suis quelqu’un qui ne renonce jamais », affirme-t-il. Des qualités qu’il a su mobiliser dès le début de son parcours professionnel. « J’ai fait partie de ces gens qui ont eu du mal à trouver leur voie, raconte-t-il. J’étais intéressé par tout, la sociologie, la géographie, l’archéologie… J’ai pas mal erré dans les couloirs de la fac de Poitiers. »

Ce passionné de tennis de table quitte alors sa ville d’adoption pour les Ardennes, où il fait ses premiers pas en tant que médiateur culturel. « Je m’occupais d’une salle de spectacle pluridisciplinaire à Givet. En parallèle, je finissais mes études à Metz. J’ai finalement obtenu une licence en gestion culturelle et développement. » De cette période ardennaise loin des siens, Gilles ne retient que du positif. « Ce travail m’a vraiment permis de me construire en tant qu’individu. La culture donne à réfléchir, forge un esprit critique et nous rassemble. »

Une oreille attentive

Et c’est aussi grâce à l’art que les jeunes qui côtoient l’espace ado d’« Un Hôpital pour les enfants » oublient un peu la maladie. Fin juin, Gilles et son équipe ont inauguré deux grandes fresques murales réalisées par le rappeur Res Turneur. « Les enfants ont vraiment participé au chantier. Ils ont choisi les personnages de dessins animés et héros de jeux vidéo qu’ils voulaient voir représentés parce que les valeurs et les messages qu’ils portent ont du sens pour eux. Il faut arrêter de croire que les gamins n’ont rien à dire », déclare ce papa poule de deux fillettes.

Les messages de remerciements affluent sur la page Facebook de l’association, bien souvent de la part de parents qui, eux aussi, ont trouvé auprès de Gilles et son équipe le soutien nécessaire pour traverser de dures épreuves. « Nous leur offrons du thé, du café ou simplement une oreille attentive. L’important, c’est que les proches puissent aussi souffler », explique le successeur d’Aurélie Dessevres. L’ancienne directrice d’UHPE compte encore beaucoup pour lui. « Elle m’a tendu la main et m’a accordé sa confiance... »

Gilles a de l’énergie à revendre. Dans un tournoi de tennis de table comme au bureau, il fait preuve d’une opiniâtreté à toute épreuve. « Il reste encore de beaux projets à mener. Je sais pourquoi je me lève le matin, ça n’a pas de prix. »

Gilles Kéo a finalement eu un prénom laotien. Pour ses 18 ans, ses parents ont demandé à des moines bouddhistes de lui en attribuer un : Aphixai, qui signifie Le Grand. Grandeur d’âme, à n’en pas douter.

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