Jean-Luc Terradillos. 60 ans. Rédacteur en chef de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine. Vulgarisateur de sciences depuis plus d’une vingtaine d’années. Ce fils de maçon loudunais s’est bâti un carnet d’adresses épais comme un numéro de son trimestriel.
Le métier de journaliste a ceci d’extraordinaire qu’il permet de côtoyer des gens quasi inaccessibles au commun des mortels. Y compris lorsqu’on vit en « région ». Jean-Luc Terradillos partage l’assertion, lui qui reconnaît « avoir la chance de tout le temps rencontrer des personnes formidables ». Il lui arrive d’effectuer de longs trajets en voiture pour recueillir la parole éclairante de tel ou tel scientifique, chercheur… Un an avant sa mort, l’explorateur Théodore Monod s’était confié à lui, dans son appartement parisien de l’île de la cité. « Un rendez-vous marquant, témoigne le rédacteur en chef de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, à l’époque très « intimidé ». Dans son salon, il n’y avait la place que pour deux fauteuils et une petite tablette. On sentait l’antre du vieux baroudeur. L’heure d’échanges fut passionnante. J’avais d’ailleurs titré l’interview avec cette citation : « Pas d’illusion sur l’hominisation. » »
D’une certaine manière, le journaliste partage le sombre présage de l’explorateur au long cours. L’humanité courrait à sa perte, en accélérant « le déclin de nombreuses espèces ». « Tous les scientifiques s’accordent à le dire ! Maintenant, je ne suis pas complètement désespéré car une nouvelle génération a envie de faire sauter les vieux schémas, notamment sur les questions écologiques. » A 60 ans, ce compagnon de la première heure de l’Espace Mendès-France, un temps correspondant pour La Charente Libre à Poitiers, se range résolument derrière cette génération Y, libertaire et revendicative. L’ancien étudiant en philo a lui-même étanché sa soif d’expression, au début des années 80. Avec « quelques copains », dont l’ancien élu vert Daniel Lhomond, il avait fait naître Le Farci poitevin, un Canard enchaîné local à la sauce aigre.
« On ne représentait rien »
A son tableau de chasse, notamment, un face à face avec l’ancienne élue Edith Cresson. « C’était avant les Législatives de 81. On ne représentait rien, mais elle avait été sympa avec nous. L’aventure s’est vite arrêtée. Maintenant, l’expérience m’a permis de prendre goût au journalisme. D’une certaine manière, je continue de faire la même chose : permettre à des sujets qui sont pas abordés d’exister. » Jean-Luc Terradillos adore échanger, voir du monde. Un trait de caractère qu’il attribue à ses parents. « Mon père était maçon et les clients défilaient à la maison. On avait toujours quelqu’un à manger à la maison ! » A défaut de « reprendre l’entreprise familiale », le Loudunais d’origine cimente ses connaissances en se frottant aux autres. Notamment le paléoanthropologue Michel Brunet et l’écrivain Alberto Manguel, devenus « des amis ».
« Ça paraît impossible aujourd’hui »
« Cultureux » dans l’âme, le presque sexagénaire s’était un temps imaginé voguer vers d’autres horizons. Mais il a toujours « trouvé quelque chose de formidable à faire ici ». Son tempérament « un peu casanier dans l’âme » a sans doute joué un rôle. Le red’ chef de L’Actualité Nouvelle-Aquitaine se définit au-delà comme quelqu’un de « jovial » et passionné -« plus jeune, je ne voulais pas travailler et je passe maintenant mon temps à bosser ! »-, avec option procrastination. D’une certaine façon, Jean-Luc Terradillos s’est fait tout seul en échappant à son destin familial. Pas sûr cependant que l’histoire pourrait se reproduire aujourd’hui. « J’ai connu une époque où quand on était fils de rien, par l’école, on pouvait monter dans l’ascenseur social… » Lui n’a jamais eu « la fibre paternelle », mais cela ne l’empêche pas de s’indigner pour les autres. Pour cette jeunesse de plus en plus conscientisée. Et contre « cette loi de la jungle » qui favorise trop souvent la reproduction des élites. « J’ai des copains qui étaient fils d’ouvriers et sont devenus médecins. Ça paraît presque impossible aujourd’hui ! » Faute de pouvoir agir sur les maux contemporains, le journaliste diffuse, à son échelle, le plein de savoirs qui permettent « de mieux comprendre le monde dans lequel on vit ». C’est peu et c’est beaucoup à la fois. Chacun sa part.
Photo Eva Avril