Depuis une décision du Conseil d’Etat du 5 décembre 2016, les employeurs ont la possibilité de procéder à des tests salivaires sur des salariés soupçonnés de consommer du cannabis. Une mesure très compliquée à mettre en place.
Pendant des dizaines d’années, les entreprises du bâtiment ont lutté contre le fléau de l’alcool. Renouvellement des générations oblige, les petits patrons sont aujourd’hui confrontés à un autre phénomène : l’usage du cannabis. « C’est effectivement une problématique majeure, reconnaît Philippe Huet, secrétaire général de la Fédération française du bâtiment de la Vienne. Beaucoup de jeunes fument et font parfois usage d’autres drogues. Sur un chantier, il est facile de s’isoler et de se mettre à l’abri des regards… » Selon une enquête de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), 10% des actifs déclarent « consommer régulièrement », dont la moitié « avant d’aller travailler ».
Par une décision du 5 décembre 2016, le Conseil d’Etat autorise désormais les employeurs à pratiquer des tests salivaires sur des salariés soupçonnés de fumer de l’herbe. « Cela ne concerne que les postes hyper sensibles », balise toutefois Loïc Blanchard, intervenant addiction au travail pour le compte du groupe Focsie Centre. Maintenant, cette notion de poste hyper sensible est bancale et sujette à interprétation. Bouygues construction et une filiale de la SNCF l’ont déjà mise en application. Mais ce sont des précurseurs ! » « A titre personnel, je ne me vois pas utiliser un coton tige et le coller dans la bouche de l’un de mes collaborateurs. Et pourtant, certains arrivent avec les yeux rougis le matin », témoigne Alain, dirigeant d’une TPE poitevine dans le gros œuvre.
Surmonter sa peur
La mesure sera d’autant plus compliquée à appliquer que le salarié a la possibilité de demander une contre-expertise sanguine, à laquelle le chef d’entreprise n’aura pas accès. Toujours d’après le baromètre santé de l’Inpes, la construction (13%), l’hébergement-restauration (12,9%), les arts-spectacles-métiers récréatifs (16,6%), l’information-communication (10,7%) figurent dans le Top 5 des secteurs où le cannabis est le plus consommé. « Dans ces métiers, il permet de faire face à des conditions de travail difficiles, prolonge Loïc Blanchard. C’est le cas des élagueurs. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, certains fument pour surmonter leur peur et le stress du travail en hauteur. Christophe Dejours (psychiatre, psychanalyste et professeur de psychologie français, spécialiste en psychodynamique du travail, ndlr) l’a très bien montré. »
On est loin d’un simple usage récréatif et presque culturel. Et on sait qu’en milieu professionnel, la « modification de l’état de conscience », « des réflexes diminués » ou « l’altération des sens » peuvent conduire à un cocktail détonant. « Dans le cas d’un accident mortel provoqué par un salarié sous psychotrope, le dirigeant est responsable. D’où la nécessité de prévenir », conclut Philippe Huet.
Une marche mondiale samedi
La marche mondiale du cannabis passera samedi par Poitiers. A partir de 14h30, l’association « Chanvre & libertés » tiendra un stand d’information sur la place Leclerc et y défendra ses positions.
« On veut que le débat s’ouvre sur la légalisation, défend Valérie Bogus, sa porte-parole.
Nous ne sommes pas des délinquants et considérons la loi du 31 décembre 1970 comme liberticide. Au-delà de l’usage récréatif, le cannabis est un très bon médicament, que les malades ne peuvent même pas utiliser aujourd’hui ! » Plus d’infos sur
www.chanvrelibertes.fr.
Shit et hypocrisie
Le sujet est passé sous les radars de la campagne présidentielle. Alors que ses partisans descendront dans la rue samedi, la question de la légalisation du cannabis agite toujours notre société. Les tenants d’une consommation débridée mettent en avant le désengorgement des tribunaux, la paix retrouvée dans les quartiers ou encore le redéploiement des forces de l’ordre vers d’autres missions que la chasse aux petits trafiquants. Les vertus thérapeutiques du cannabis constituent aussi un argument de poids. Dans ce registre, la France accuse un vrai retard par rapport à ses voisins. Un seul exemple : le Sativex. Ce médicament -à base de tétrahydrocannabinol et cannabidiol- censé soulager les patients atteints de sclérose en plaques est autorisé en France depuis 2014, mais toujours pas en vente pour des questions tarifaires. Officiellement. Car dans la coulisse, d’autres raisons se font jour, notamment une possible dépendance. Les associations s’insurgent, mais sans effet. A quand la fin de l’hypocrisie ?