Michel Grain, 74 ans. Dans l’ombre de Jacques Anquetil, cet ancien cycliste professionnel a effectué de nombreuses courses prestigieuses, dont cinq Tours de France et le Midi Libre, qu’il a remporté en 1965. Signe particulier : joue toujours pour la gagne, quel que soit le sport, et brille par sa modestie.
Son palmarès figure sur Wikipedia et une course de vélo porte son nom. La "Michel Grain" est organisée depuis plus de vingt ans à Nieuil-l’Espoir. Comme un hommage à une carrière sportive exceptionnelle. « C’est l’association des anciens coureurs cyclistes de la Vienne qui a eu l’idée. Ça s’est fait comme ça. » Modeste sur ses prestations passées, l’intéressé s’excuserait presque de sa notoriété. Mais il ne rate jamais l’événement, comme un certain Raymond Poulidor, son adversaire d’hier devenu « un ami ». Tous les deux se sont donné rendez-vous le 13 mai. Pour le spectacle et aussi pour le déjeuner convivial qui suivra.
Anquetil à la maison
Ancien cycliste professionnel, Michel Grain officiait à l’époque où les dérailleurs ne disposaient que de cinq pignons. Les oreillettes n’existaient pas et les coureurs du Tour de France rejoignaient leur hôtel sur leur monture... Lui a disputé cinq Grandes boucles, entre 1965 et 1970, ainsi que deux Giro et autant de Vuelta en Espagne. Ce sprinter est alors le coéquipier d’une légende, Jacques Anquetil : « Chez Ford France et chez Bic, on appartenait à la plus belle équipe de l’époque. On a gagné un Tour d’Italie ensemble. » Dans son album de souvenirs, Michel Grain retrouve une photo du « Maître Jacques », comme l’appelait la presse, et d’Anatole Novak, chez lui à Chauvigny, où tous les trois s’étaient retrouvés avant de participer au critérium de La Trimouille. « Anquetil était très gentil. Avec lui et Lucien Aimar (vainqueur du Tour de France 1966 et champion de France sur route en 68, ndlr), on était bien reçus. Je me rappelle avoir dîné chez Maxim’s après une soirée avec Dalida. »
Les journalistes de l’époque louent sa résistance à la douleur. Son père légionnaire n’y était sans doute pas étranger. Ses capacités athlétiques apparaissent dès l’enfance. A 13 ans, le licencié de l’Union vélocipédique poitevine termine cinquième de sa première course à Chinon. Encore frais, il décide de rentrer à vélo jusqu’à chez lui, à Saint-Georges-lès-Baillargeaux. Soixante-dix kilomètres de plus ou de moins, finalement... Le plus étonnant, c’est que son cœur penche plutôt pour le foot à ce moment-là.
En 1956, le gamin qui joue avant-centre décroche le titre de meilleur footballeur de la Vienne dans sa catégorie. Repéré au plan national, il est fauché par un gardien. Celui de Neuville. Résultat, trois mois d’arrêt ! Et des séances de rééducation qui passent par... le vélo. Le destin a choisi pour lui. « Petit à petit, j’ai commencé à gagner des primes, alors j’ai continué. » Il effectue son service militaire dans le bataillon de Joinville, antichambre de l’équipe de France de cyclisme, dont il devient membre par la suite.
"Un gagneur" selon son épouse
Son plus beau fait d’armes à titre personnel ? Une victoire au classement général du Grand Prix du Midi-Libre, en 1967. Entre 1973 et 1978, Michel Grain continue de gagner sa vie grâce à la petite reine, avant de bifurquer vers un autre monde. Il sillonne toujours les routes, mais pour le compte d’une entreprise spécialisée dans le transport de marchandises, puis d’une autre qui organise des convois exceptionnels.
Dans sa maison située au cœur de la cité médiévale chauvinoise, rien ne rappelle ses succès. Les coupes sont dans un carton. « Les seules que j’expose dans le salon sont celles gagnées à la pétanque... » C’est sa nouvelle passion. Et là encore, il est au plus haut niveau. Sa triplette a remporté le championnat de France vétérans à deux reprises. « C’est un gagneur », relève Gisèle, qui partage sa vie depuis cinquante-six ans. Ensemble, ils ont eu deux filles. Assise à côté de lui, elle écoute son mari raconter sa saga une énième fois. Elle la connaît par cœur, mais tant pis. C’est un plaisir. Victime d’un récent pépin médical, Gisèle semble encore plus proche de son mari. « Il faudrait qu’elle aille marcher pour se remettre en forme, mais elle ne veut pas », argue-t-il avec un air faussement sentencieux. « Je n’ai pas le courage. Lui ne sait pas ce que c’est. A 74 ans, il ne prend toujours aucun médicament. » Les deux complices finissent par éclater de rire. Tout en simplicité. Une marque de fabrique.