Chaque année, environ deux cents demandes de reconnaissance de paternité sont déposées auprès du tribunal de grande instance de Poitiers. Derrière ces requêtes, se cachent des enfants de tous âges, en quête d’identité, d’héritage et parfois de réponses.
Depuis l’enfance, Lucie(*) n’a « manqué de rien ». « Enfant gâtée », de son propre aveu, cette Poitevine de 27 ans a grandi « dans un cadre idéal », qui lui a permis de « (s)’épanouir et de faire les études de (son) choix ». Aujourd’hui mère d’un petit Léon et cadre dirigeante d’une société d’assurances, elle « croque la vie à pleines dents ». À l’opposé, Mickaël(*), 24 ans, a toujours vécu « dans une grande pauvreté ». Après avoir connu « quinze déménagements en dix ans », il s’est installé à Poitiers à 18 ans et a enchaîné les missions d’intérim, « sans pour autant parvenir à boucler les fins de mois ». Laëtitia(*), 37 ans, a quant à elle embrassé une vie de bohème, « sans pied à terre et sans préoccupations ». Elle cultive les melons l’été, « anime des colos » pendant les vacances scolaires et « bosse à droite à gauche le reste du temps ». Ces trois Poitevins très différents ne partagent qu’un seul point commun. Celui de ne pas avoir grandi avec leur père.
Tous les ans, le Tribunal de grande instance (TGI) de Poitiers examine environ deux cents dossiers de « reconnaissance de paternité », dont les requérants obtiennent toujours gain de cause après une enquête approfondie. En France, selon l’Insee, 6,8% des enfants nés hors mariage ne sont reconnus que par leur mère. Soit environ 25 000 nouveaux-nés chaque année. Comme Lucie, Mickaël et Laëtitia, ils sont des milliers à grandir loin de leur géniteur. Les trois Poitevins ont choisi d’engager une action en justice, pour des raisons très différentes. « Je sais qui il est, mais je ne l’ai jamais rencontré, explique Lucie. Aujourd’hui, je ressens le besoin de voir figurer son nom sur mon livret de famille. Pour que mon fils sache qui est son grand-père. Le reste m’importe peu, il ne m’a jamais rien apporté, je n’ai et n’aurai pas besoin de lui. »
« Son absence a gâché ma vie »
Pour Mickaël, les motivations sont financières. « J’ai un peu honte de l’admettre, mais j’ai engagé cette procédure pour toucher l’héritage à sa mort. Il est médecin et mène une vie aisée, contrairement à moi. À l’école, on me traitait de « bâtard ». Son absence a gâché ma vie, l’argent sera une maigre contrepartie. » Contrairement aux deux autres, Laëtitia a déjà obtenu gain de cause, il y a dix ans. « J’ai hésité jusqu’au dernier moment, puis j’ai sauté le pas. Je n’avais aucune envie particulière, excepté celle de rentrer en contact avec lui. De lui dire « Hey, j’suis là ! », « Pourquoi t’es parti ? », « Qui es-tu ? ». Depuis, j’ai eu mes réponses. Et je ne l’ai plus revu. »
Obtenir la reconnaissance paternelle est un chemin semé d’embuches. « La procédure est assez longue et coûteuse, explique Maître Nathalie Manceau, avocate au barreau de Poitiers. L’enfant peut engager une demande jusqu’à dix ans après sa majorité. Dans quasiment tous les cas, une analyse sanguine est demandée pour vérifier la filiation. » L’avocate au barreau de Poitiers, spécialiste du droit de la famille, souligne par ailleurs le fait que la reconnaissance de paternité « implique des conséquences ». « L’enfant devient héritier, des fortunes comme des dettes. Et l’impact psychologique peut être très perturbant. » Car la vérité n’est pas toujours bonne à découvrir...
(*) Tous les trois ont choisi de garder l’anonymat, pour « ne pas informer (leur) entourage de leur démarche ».