"Cabu et Wolinski, mes héros"

Journaliste et dessinateur camerounais pour le compte de canards satiriques, Gaby N’Gadou a fui son pays en 2002, pourchassé par le régime. A Yaoundé, il avait notamment accueilli Wolinski et Tignous « en héros de la liberté ». Son témoignage est édifiant. Nous lui devons la «Une» de cette semaine…

Arnault Varanne

Le7.info

Les martyrs du journalisme ne sont pas tous au ciel. Heureusement. Dans la grande famille des réfugiés politiques « exilés » à Poitiers, Gaby N’Gadou occupe une place à part. Lui aussi a failli payer de sa vie son coup de crayon un peu trop mordant aux yeux du régime camerounais.

Enlevé, torturé puis relâché un sombre jour de mars 2001, le caricaturiste de « Mami Wata » et « Popoli » a dit stop. Stop à l’intimidation et aux représailles un peu trop pressantes sur ses proches. Depuis treize ans, le médiateur social des Trois-Cités force l’admiration de ses contemporains par son calme. Quand on a vécu l’enfer de la répression… rien d’autre de grave ne vous atteint.

L’histoire retiendra que Gaby -l’un de ses confrères lui avait suggéré de signer Gabu- a fréquenté de près Wolinski et Tignous. « Nous les avons fait venir tous les deux à l’occasion du Festival international de caricature et d’humour de Yaoundé (Fescarhy), abonde l’ancien chef de rubrique « culture » du quotidien La Nouvelle expression. Cabu était surbooké, Wolinski est donc venu en 1998, pour la première édition… alors que l’ambassade du Cameroun lui a refusé son visa. Il était sans-papier ! On l’a accueilli avec des t-shirts à son effigie. On n’a pas mal picolé et fait la fête. Comme Cabu, c’était un héros pour nous. » « Je pensais qu’ils étaient intouchables »

A son retour en France, Wolinski a tenu promesse, en publiant plusieurs dessins de ses confrères camerounais dans Charlie Hebdo, récit de son épopée de sans-papier à l’appui ! Imaginez la fierté de Gaby et les siens. Deux ans plus tard, c’est Tignous qui s’est prêté de bonne grâce à l’exercice. Même « simplicité », mêmes… « virées nocturnes dans les quartiers chauds de Yaoundé » et une envie farouche de défendre la liberté de la presse, à des milliers de kilomètres de Paris.

A l’annonce de sa disparition, Gaby N’Gadou n’a pu retenir ses sanglots. Comme si, d’une certaine manière, son passé l’avait rattrapé. « Ces quatre-là (Ndlr : Cabu, Tignous, Charb, Wolinski), je pensais qu’ils étaient intouchables. C’était des mythes, notamment parce qu’ils m’ont apporté beaucoup de réconfort au Cameroun… »

Les mythes ont disparu, pas leur esprit libertaire. Tout un symbole, Gaby l’exilé a répondu illico à l’appel du « 7 ». Il signe le dessin de « Une » de ce numéro forcément exceptionnel. Le combat continue, hein ?...

"J'ai perdu mes potes" Sophie Bros est inconsolable. « J’ai perdu mes potes », lâche-t-elle, en étouffant un sanglot. Dans son pavillon de Vouneuilsous- Biard, la co-organisatrice du Festival du dessin de presse et d’humour de Saint-Just-le- Martel, en Haute-Vienne, s’est effondrée à l’annonce du massacre perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo. « Mercredi dernier, j’ai vécu un cauchemar en voyant tomber les noms les uns après les autres. Je suis restée scotchée jour et nuit devant mon ordinateur et ma télé. C’était l’horreur. J’étais anéantie et je le suis toujours. Je connaissais Cabu, Tignous, Wolinski et Honoré personnellement depuis vingt-huit ans. Ils venaient régulièrement au festival. » Depuis cette journée noire, les images et les souvenirs se bousculent dans sa tête. « Je les connaissais différement, mais on a passé de belles soirées ensemble, on a beaucoup ri. Ce que je retiens d’eux ? Des gens super, calmes, pacifistes, qui avaient un crayon pour seule arme. Des gens intelligents qui cherchaient à faire réagir contre toutes les formes d’intégrisme et contre l’absurdité. Aujourd’hui, ils sont morts à cause de ça… » L’immense vague d’émotion soulevée par le drame a ému aux larmes l’ancienne journaliste poitevine. « J’ai participé au premier rassemblement de la place Leclerc au côté de milliers de Poitevins. On s’est retrouvés là, silencieux. J’ai trouvé ce moment surrealiste, mais très rassurant. Il y avait des jeunes, des vieux, des anonymes de toutes les nationalités, de toutes les religions… Ça fait du bien de se dire qu’il y a des gens qui réfléchissent et n’ont pas peur. Car le risque aujourd’hui, c’est de s’enfermer et de jouer le jeu des terroristes. »

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