Des psys pas commes les autres

Ils vous relookent, distribuent votre courrier, vous servent un café au coin du zinc… Ils ne sont pas psychologues, mais remplissent bien souvent la fonction, érigeant l’écoute et le dialogue au rang de devoirs de santé publique. Ils sont les confidents des temps modernes.

Florie Doublet

Le7.info

Hier encore, maux et péchés se dissipaient et s’expiaient sur le divan d’un cabinet ou dans le secret d’un confessionnal. Hier a vécu. Au royaume de la confession intime, psychiatres et curés ne sont plus les seuls à détenir le pouvoir d’alléger les souffrances. Autour d’eux, s’est peu à peu tissée une immense toile de solidarité et d’humanité. Plus accessible, plus proche, surtout, des réalités du quotidien.

Ils sont coiffeurs ou facteurs, cafetiers ou libraires, n’ont aucun diplôme en psychologie, mais prêtent pourtant une oreille attentive aux petites misères et gros chagrins de Monsieur tout le monde. « Etre à l’écoute fait partie intégrante de mon métier », illustre sobrement Vanessa, coiffeuse à Poitiers. Dans son salon, les barrières tombent. On se laisse aller, le temps d’une coupe ou d’un brushing. Mari volage, collègue exécrable, problèmes d’argent récurrents… Les sujets de discussion ne manquent jamais. « S’épancher sur l’épaule d’un inconnu semble parfois plus facile que de se confier à ses proches », poursuit la jeune femme. Un rien suffit souvent à délier les langues. Manuella, esthéticienne, confirme : « Un jour, j’ai simplement demandé à une cliente si elle se maquillait le matin. Elle m’a répondu du tac au tac : « Non, je n’ai plus envie de prendre soin de moi, j’ai de graves problèmes familiaux ». C’est parfois dur à gérer. »

Créer du lien social
A l’heure où les relations humaines s’égarent régulièrement dans le virtuel de la connexion Internet (selon Médiamétrie, trente millions de Français raconteraient leurs malheurs sur les réseaux sociaux), ces « nouveaux psys » incarnent l’exception qui confirme la règle. « Facebook ou Twitter ne se substitueront jamais au contact humain », tempère Laurent Wilmez. Le maître de conférences en sociologie à l’université de Poitiers souligne l’importance de ces « lieux de sociabilité » qui permettent de « créer du lien ».
Une observation partagée par le docteur Nemat Jaafari. Psychiatre à Henri-Laborit, ce dernier met en avant le caractère « apaisant » des confidences sur le bac à rinçage (lire encadré). « La parole est l’un des meilleurs remèdes aux soucis de l’existence », explique- t-il. Ainsi, au fil du temps, une véritable « intimité » se crée entre le commerçant et son client. La conserver nourrit la vie.

Pour les professionnels eux-mêmes, ce lien est déterminant. Il fut ainsi, autrefois, l’un des moteurs de choix de Patrick, facteur sur une commune de l’agglomération poitevine depuis plus de quinze ans. « Sur nos tournées, le temps nous est de plus en plus compté, regrette- t-il, mais je continue de rendre des petits services. Avec certaines personnes, notamment âgées, une vraie confiance s’est instaurée, au point qu’elles me font voir des choses, comme des comptes bancaires, par exemple, qu’elles ne montrent même pas à leurs enfants. » Patrick en est persuadé : le jour où on lui interdira de tailler le bout de gras, de rassurer ou de conseiller, l’image ancestrale du facteur confident et ami disparaîtra. « Refuser le contact, assène-t-il, c’est encourager le repli sur soi et l’isolement. Ce n’est pas comme cela que je vois mon rôle. » Ils sont coiffeurs ou facteurs, cafetiers ou libraires. Des psys pas comme les autres qui ont le don d’aider… les autres. Les confidents des temps modernes.

Vous êtes du genre bavard face au miroir ? La rédaction attend vos témoignages sur notre page Facebook.
 

3 questions à…
Nemat Jaafari, psychiatre à Henri-Laborit


Pourquoi ressentons-nous le besoin de nous confier à notre coiffeur, esthéticienne, facteur… ?
«La parole est un bon traitement pour évacuer les petits soucis de tous les jours. Il s'agit d'une parole apaisante. Cela n'a rien à voir avec la psychothérapie, où l'on oriente le patient de manière thérapeutique.»

Les hommes se sont-ils toujours confiés ?
« Oui, mais avant, c'était l'Eglise qui occupait ce rôle de confident. Les prêtres avaient beaucoup d'influence. Ils écoutaient et jugeaient en même temps. Mais ils ont perdu, au fil du temps, ce pouvoir. La société a évolué et l'on s'est tourné vers d'autres professions. On créé une certain intimité avec notre coiffeur, on lui raconte des choses que l'on ne peut pas dire à ses proches, son conjoint… » 

Mais il est parfois difficile de gérer les problèmes des autres. Ne dévoile-t-on pas trop facilement son intimité ?
« Nous vivons dans une société de l'émotion. Nos sentiments sont exhibés : à la télévision, sur Internet… Il y a quelques dizaines d'années, c'était loin d'être le cas. Il ne fallait surtout pas se montrer, rester pudique, ne rien dévoiler. Il s'agissait de « savoir se tenir », « se retenir ». Aujourd'hui, c'est tout le contraire. Nous sommes passés d'un monde introverti à un monde extraverti. »
 

À lire aussi ...