Nos magistrats sont-ils "de bonne moralité" ?

Une étudiante poitevine s’est vu refuser, en septembre 2011, son entrée à l’Ecole nationale de la magistrature, au motif qu’elle avait été condamnée, trois ans plus tôt, pour conduite en état d’ivresse. Son cas et, plus largement, la question de la moralité des magistrats étaient plaidés mardi dernier devant le Conseil constitutionnel.

Nicolas Boursier

Le7.info

Sa carte de visite et ses études longues comme le bras attestent d’un engagement sans faille à la noble cause de la Justice. Troisième cycle de droit pénal en poche, Mathilde (ndlr : le prénom a été changé) est prête au grand saut. Nous sommes au début de l’année 2011. La jeune femme, étudiante à Poitiers, présente sa candidature au concours d’entrée de la rutilante Ecole nationale de la Magistrature. Le rêve est en marche. Au soir du printemps, le couperet tombe : « Refusée ! » Pourquoi elle ? « Elle était loin de s’imaginer que de vieilles affaires presque futiles pourraient contrarier ses espoirs. » Avocat à la cour et maître de conférences à l’université de Poitiers, Manuel Carius est saisi
du dossier. Il comprend très rapidement le motif de la sentence. « En 2008, ma cliente a été soumise à un contrôle d’alcoolémie qui s’est avéré positif. Elle a été jugée par ordonnance pénale et condamnée à 200€ d’amende et deux mois de suspension de permis. C’est cette infraction qui a conduit le Garde des Sceaux, « sélectionneur en chef » des candidats à l’ENM, à s’opposer à son admission. » Selon le ministre, l’étudiante a manqué à ses devoirs de « bonne moralité ». Me Carius s’emporte : « Certes, la loi organique relative au statut de la magistrature stipule que les candidats à l’auditorat doivent « jouir de leurs droits civiques et être de bonne moralité ». Mais aucun texte ne donne la moindre définition de cette « bonne moralité ». Pire, elle ne délimite aucun cadre. Ni la morale, ni la moralité ne disposent d’un contenu précis et objectivable. »

« Une anomalie juridique »

Pour Manuel Carius, le flou juridique autour des élèves juges est une aberration. Dans le cas de sa cliente, il s’agit d’ « une atteinte à l’égalité et au respect de la vie privée ». « Les magistrats, éclaire-t-il, sont les seuls fonctionnaires de notre pays à ne disposer d’aucune référence écrite sur l’incompatibilité d’une condamnation avec l’exercice de leur fonction ou future fonction. »
Soucieux que le cas de sa cliente « serve l’exemplarité », l’avocat poitevin a posé, il y a quelques semaines, devant le tribunal administratif de Paris, une Question prioritaire de constitutionnalité et l’a plaidée, mardi dernier, devant le Conseil constitutionnel. « Cette démarche n’a qu’une ambition, explique-t-il. Faire en sorte que la lumière soit définitivement faite sur ce que je n’hésite pas appeler une anomalie juridique. Il est inconcevable qu’aujourd’hui encore, un élève juge soit soumis à des évaluations inégalitaires. Tant que la frontière entre l’interdit et l’immoral ne sera pas légalement défini, l’arbitraire règnera en maître. »
Décision du Conseil constitutionnel le 5 octobre.
 

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