Chaque mois depuis 2008, un bar ferme ses portes dans le département. Pour faire face aux difficultés, les cafetiers se serrent les coudes. Décryptage au coin du zinc.
L’image du « bar à la française » a été servie à toutes les sauces. Du « soap » marseillais à Hollywood, les troquets hexagonaux continuent de jouir d’une belle notoriété à l’écran. Dans la « vraie vie », la situation diffère du tout au tout. Car les patrons trinquent. Les statistiques de la Chambre de commerce et d’industrie sont sans équivoque. Au cours des trois dernières années, notre département a déploré trente- cinq fermetures d’établisse ments, soit une disparition par mois.
Le café «made in France», une espèce en péril ? Au bistrot de Croutelle, Sauveur Ferro ne peut qu’acquiescer, car sa « survie » tient à peu de choses. « Je suis propriétaire et je n’ai plus un crédit sur le dos. Sans cela, je baisserais définitivement mon rideau. » Au bar du coin à Béruges, Sylvie Grillet est propriétaire de son établissement et n’a, elle non plus, aucune traite à honorer. Elle n’en porte pas moins un regard critique sur la situation. « Je souhaite bon courage à un novice qui espère se lancer dans cette activité ».
Bar-tabac-presse,
la trilogie obligée
La vérité est crue. Jacques Roiffé, patron du « Saint-Vincent » à Fontaine le Comte, y ajoute du piment. « Quand j’ai repris le fond de commerce du bar-tabac-presse en 2009, j’ai même hésité à reprendre le bar. » Selon lui, les banques n’ont pas été des plus complai- santes. « J’ai essuyé un premier refus de prêt, regrette-t-il. Heureusement, le second établissement contacté a été rassuré par le chiffre d’affaires de mes prédécesseurs. » Une petite réussite commerciale qu’il a fait fructifier. Son secret ? Le tabac-presse. « C’est mon produit d’appel », livre-t-il.
Cette diversification est devenue un passage obligé. Les quatre cafetiers interrogés ont tous ces deux cordes à leur arc. À Croutelle, Sauveur Ferro complète avec un dépôt de pain. À Béruges, Sylvie ajoute la vente de bouteilles de gaz. À Avanton, Isabelle Evain donne dans l’alimentation. « Il en va de notre survie », lancent-ils en chœur.
Avec le seul débit de boissons, ils seraient perdus. Et ne se privent pas pour le dire. « Les temps changent, fatalise Sylvie. Les jeunes ne voient plus un seul intérêt à venir au bar. Il n’y a que les anciens qui le considèrent encore comme un terrain d’échanges et de lien social. »
Au-delà, les différentes contraintes réglementaires -entre autres l’interdiction de fumer- a fini d’éloigner les derniers habitués de l’apéro. « La licence IV est devenue quasi-inutile », se désespère Sauveur Ferro.
Dans ce décor à pleurer, les raisons de croire en l’avenir sont rares. Mais elles existent. Prenez Isabelle ! Chez elle, aucun abattement. De 6h30 à 20h, six jours sur sept, sans le moindre jour de congés en six ans, elle conserve son entrain. « Tant que les clients pousseront la porte au petit matin, je continuerai d’être présente derrière mon bar. Les bistrots ne pourront jamais mourir », prophétise la patronne de l’«Espérance», le bien nommé. Gageons qu’avec de tels exemples, les parfums du «bar à la française» ne s’évaporeront pas dans la sinistrose ambiante.
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LE CHIFFRE
8. Selon une récente enquête de nos confrères de M6, huit bars passeraient quotidiennement de vie à trépas en France. Entre 2008 et 2011, trente-cinq ont fermé rien que dans la Vienne. Et encore ! Les statistiques fournies par la Chambre de commerce et d’industrie ne tiennent pas compte des liquidations d’établissements mixtes, c’est-à-dire assurant, en plus du bar, un service de restauration (code NAF 5610 A). Au cours de la même période, trente et une entreprises ont ainsi mis la clé sous la porte. « D’autres connaissent de grandes difficultés en milieu rural », confie Thierry Andrieux, conseiller technique hôtellerie, restauration et tourisme à la CCIV. Les communes savent pertinemment que la disparition de ces lieux de vie entraîne de fait la mort du village. »