Nicolas Tié, gardien de la Nation

Nicolas Tié. 24 ans. Ex-gardien de but professionnel à Chelsea et au Vitória de Guimarães. A raccroché les crampons, « dégoûté » par certaines pratiques du milieu. S’engage aujourd’hui dans l’armée. Petit prodige devenu grand. Tatoué, sensible et déterminé.

Arnault Varanne

Le7.info

Ce mardi 1er avril 2025 sonne comme le premier jour du reste de sa vie. Un passage par le Cirfa pour y signer son contrat d’engagement, et direction Tarbes en train, où l’attend une place au 1er Régiment de hussards parachutistes (RHP), une unité de cavalerie blindée 
de l’armée française. Béret rouge à la clé. Nicolas Tié a profité des dernières semaines pour « voir un maximum de famille » à Paris, en Italie, à Niort, avant le plongeon dans un autre monde. Celui pour lequel il a opté en connaissance cause -« j’ai choisi de devenir militaire »-, alors qu’il a encore eu des propositions « pour jouer en National ». 
« J’ai toujours aimé les métiers d’armes, mon beau-père est parachutiste en Côte d’Ivoire, il m’a inspiré, c’est sûr. » 


Le Franco-Ivoirien évoque « un cheminement très long » après sa « bascule » du foot vers les drapeaux. Presqu’un an. Il a d’abord pensé à l’armée de l’Air avant de se rabattre sur la 
« Terre », aiguillé par « le capitaine Louis » (Soy, ndlr). « Il s’est battu pour moi, je n’avais même pas fait ma Journée de défense et citoyenneté ! » Ça, Nicolas ne l’oubliera pas. Comme il n’oubliera pas ses années portugaises au Vitória de Guimarães. Là-bas, le gardien de but a tout vécu, après son transfert de Chelsea à l’été 2020. Trois ans d’un calvaire avant une résiliation poussive de son contrat en 2023. 
« Ils m’ont tellement manqué de respect... Ça a commencé avec un changement de coach et de directeur sportif. Le nouveau staff ne faisait pas confiance aux jeunes, le club a racheté un gardien (Bruno Varela, ndlr). Et comme je n’avais pas beaucoup d’expérience... » Premier coup de canif dans le contrat.

Dégoût

D’une demande de baisse de salaire -« si tu veux jouer, tu acceptes »- à l’exclusion du groupe premier et de la réserve, de l’opération « foireuse » 
de son épaule blessée par un chirurgien « pourri » au face-à-face tendu avec le président du club, l’enfant de Saint-Eloi aurait de quoi écrire un livre. 
« A un moment donné, on s’entraînait avec Denis (Will-Poha, ndlr) tout seuls en plein cagnard, sans personne. Et on rentrait chez nous... Je suis vraiment sorti de là dégoûté. » 
Le néo-gardien de la Nation ne s’exonère pas de ses responsabilités. Il aime faire la fête, sortir, s’amuser mais « ce qui était toléré à Chelsea parce que j’étais performant », il le paye au prix fort au Portugal. A défaut de s’épanouir sur le pré, ou si peu, Nicolas Tié bifurque vers le karting en compétition, le paintball, l’airsoft. Le foot devient « un truc secondaire ».

« Mon père a toujours été dur avec nous, pour qu'on réussisse. »

Mais au fond, le quart de finaliste des Jeux de Tokyo 2021 avec la sélection ivoirienne le confesse volontiers : il n’a 
« jamais rêvé de devenir pro » 
par passion pour son sport. Il a démarré « à 6-7 ans » à l’ASA des Couronneries pour « être avec les potes et oublier un peu les problèmes à la maison ». Le divorce de ses parents l’a marqué dans sa chair. Son talent et 
« un peu de chance » ont tracé la suite du parcours presque à son corps défendant. Le Poitiers FC le repère, il est sollicité par les plus grands clubs d’Europe (Chelsea, Arsenal, Manchester City, le PSG, Liverpool) à 
12 ans, signe une convention avec le Stade rennais, intègre l’IFR de Châteauroux « avec un an d’avance »... A quoi bon bosser en cours ? Du collège Jules- Verne au lycée Isaac-de-l’Etoile, il se fait virer plusieurs fois des bahuts poitevins, escortant avec lui une réputation de dilettante, malgré un paternel aux aguets. « Il a été dur avec nous, pour qu’on réussisse. Il m’a toujours dit « L’homme propose, Dieu dispose » et m’a laissé faire mes choix. »

Sensibilité

En jetant un œil dans le rétro, Nicolas Tié ne regrette (presque) rien, surtout pas son départ de Chelsea, après des années brillantes chez les jeunes et quelques bancs avec les pros « en FA Cup » et Ligue des champions. Au point de se voir proposer une prolongation. « Franchement, le club m’aurait prêté, je serais revenu... Je ne voulais pas de ça. Henrique (Hilario) et Christophe (Lollichon, entraîneurs des gardiens, ndlr) étaient un peu déçus que je parte, c’est normal, mais ils ont toujours compris ma décision. » 
L’argent, les filles, les sorties, les bagnoles... En vieux routier du circuit, le Poitevin sait désormais reconnaître l’essentiel de l’accessoire. « Franchement, ce que j’en retire comme enseignement, c’est que j’aurais moins dû faire confiance à certaines personnes. »

Ce « solitaire » assumé montre ses cinq doigts pour désigner ceux qui comptent vraiment, désormais : son père « mon pote », 
ses frangins Seb (31 ans) et 
David (26 ans) et « quelques 
copains qui sont comme des frères ». Sensible, il les a dans la peau au sens propre du terme. Sa vie s’étale sur son corps, indélébile, tel un livre ouvert. « Self » et « Made » sur les phalanges de ses mains, la carte de l’Afrique pas très loin, les prénoms de ses proches sur les bras... « J’ai laissé le torse libre pour mes enfants, plus tard ! », esquisse le colosse à la silhouette affûtée sur les bancs d’une salle de gym poitevine. Nicolas-Tié-le-gardien-de-foot-prometteur n’est plus, Tié Nicolas matricule à déterminer s’apprête à 
(re)naître. Le premier jour du reste de sa vie.

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