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L'imam de Poitiers dénonce « une atmosphère malsaine »
Catégories : Société, Faits divers Date : jeudi 19 novembre 2020Multiplication des attentats terroristes, liberté d’expression, place des musulmans dans la société… L’imam de Poitiers Boubaker El Hadj Amor s’exprime en longueur sur les maux qui fracturent la société.
Fin octobre, juste après l’attentat de Nice, une délégation de musulmans est allée rendre visite à la communauté catholique. Pour lui dire quoi ?
« C’était un peu à mon initiative, à la suite de l’attentat horrible à la basilique de Nice. Nous avons été très touchés, choqués, bouleversés. Nous, les musulmans, sommes doublement gênés à chaque fois qu’il y a un tel acte prétendument commis au nom de l’islam. L’idée était de le montrer à la communauté catholique. »
Samuel Paty, Nice, Vienne… Les musulmans se font-ils suffisamment entendre pour dénoncer les actes terroristes commis justement au nom de l’islam ?
« Je vais peut-être vous choquer, mais malheureusement quand les musulmans veulent parler on choisit des gens comme Chalghoumi (président de l’association culturelle des musulmans de Drancy, ndlr) qui nous font honte. Il ne représente rien. Une pétition circule sur Internet pour demander sa démission. Au-delà, nous sommes innocents de tout cela, l’islam aussi. Mais en France, il y a une atmosphère très malsaine. On a glissé dans les mots, du terrorisme au radicalisme et de l’islamisme à l’islam. C’est la présence musulmane qui commence à être pointée du doigt. Nous voulons parler, nous devons le faire. »
Mais qui est légitime pour s’exprimer en votre nom ?
« Il y a une guéguerre entre un représentant historique, la Grande Mosquée de Paris, et le Conseil français du culte musulman. Il existe une multitude d’expressions. Pour ma part, j’appartiens à Musulmans de France, une fédération qui regroupe près de 600 associations françaises. »
Vous aviez vous-même été mis en cause dans le livre Qatar papers de Georges Malbrunot et Christian Chesnot, au sujet de l’argent reçu du Qatar pour la construction de la mosquée de Poitiers…
« Je n’ai aucune difficulté à m’expliquer là-dessus. Il se trouve que la Grande Mosquée de Poitiers a reçu un financement de Musulmans de France à hauteur de 300 000€, lequel provenait de l’association Qatar charity. Mais la grande mosquée de Poitiers n’est absolument pas un porte-parole du Qatar ici, tout le monde le sait, le voit. Si on avait vraiment reçu d’immenses sommes de ce pays, vous pensez que la construction en serait là aujourd’hui ? On veut mettre une tâche noire sur ce qu’est la mosquée de Poitiers, mais on n’y arrivera pas. Ma parole est donc libre. »
Craignez-vous une augmentation d’actes anti-musulmans ?
« On n’est pas tranquille du tout. On s’est fait agresser une fois par les identitaires et on n’est pas à l’abri d’une autre action. Heureusement qu’il y a le confinement d’une certaine manière. Mais on a peur. Tout le discours véhiculé dans les médias sur les signes religieux n’apaise pas le climat. »
Beaucoup de débats tournent autour du droit au blasphème en France. Y êtes-vous toujours favorable ?
« Mon avis importe peu, ce qui est important, c’est ce que dit le Droit. La liberté de la presse est sacrée en France. Que des gens s’expriment, cela ne me gêne pas. Il y a des exemple dans le Coran qui montrent le prophète raillé, traité de tous les noms. Si on s’élève par rapport à cela, on n’a pas de difficulté. En même temps, l’exercice de cette liberté comprend des devoirs et des responsabilités. La liberté d’expression est un bien français qu’il faut chérir, mais on ne peut pas le faire sans responsabilité. Quand j’ai entendu certaines déclarations, notamment du Président de la République, j’ai été un peu navré. Beaucoup de gens, même dans les pays proches de la France, ont condamné les caricatures. La liberté d’expression n’est pas absolue. On a besoin de mettre en avant cette responsabilité morale car c’est à travers cela que le vivre-ensemble s’exprime. L’équilibre, je le reconnais, est très difficile à trouver. »
Les caricatures de Mahomet vous ont-elles choqué à titre personnel ?
« Chacun a droit de s’exprimer, y compris sur l’islam, même si je pense que les caricatures représentent pour moi une sorte de vulgarité qui n’exprime pas beaucoup de choses pour l’être humain. »
Le climat ambiant vous inspire quel sentiment ?
« Je trouve dommage qu’on ne s’élève pas davantage au plus haut niveau de l’Etat pour éviter les amalgames. Il y a beaucoup de surenchère, ce qui n’est pas étonnant à quelques mois de la Présidentielle. Mais les discours et les réseaux sociaux contribuent à rendre l’atmosphère malsaine. »
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