La précarité face à l’écran

Alors que l’Etat envisage une dématérialisation totale des démarches administratives en 2022, le nombre des laissés-pour-compte du numérique ne baisse pas. Des structures tentent de trouver des solutions, à leur échelle.

Claire Brugier

Le7.info

Le paradoxe est réel. Le numérique est omniprésent dans la société : il s’invite dans les programmes scolaires, les Maisons de services au public comme les tiers-lieux mettent à disposition de tout un chacun des ordinateurs (cf. lavienne86.fr)… Or, 26% des Français sont aujourd’hui en précarité numérique. 

Il en résulte une vraie difficulté d’accès aux droits via Internet (Ameli, Doctolib, banques, Caf...), avec des conséquences sociales prégnantes. A titre d’exemple, 30% des bénéficiaires potentiels du RSA n‘en font pas la demande. On parle d’illectronisme… On brandit l’antidote, l’e-inclusion, mais elle ne fait l’objet d’aucune campagne nationale alors que l’Etat lui-même, dans son programme Action publique 2022, vise la dématérialisation totale des démarches administratives.

« Des gens comme vous et moi »

Le rapport publié en janvier par le Défenseur des droits Jacques Toubon, sous le titre explicite de « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics », ne fait que traduire ce que Pauline Lefèvre constate chez Audacia. L’éducatrice spécialisée dénonce « un nouveau facteur d’exclusion sociale ». « Aujourd’hui l’accompagnement des personnes passe par le numérique, que ce soit pour la création de CV, l’accès aux droits…  et, prévient-elle, les personnes touchées ne sont plus les « grands marginaux » mais des gens comme vous et moi. » 

Cet accompagnement s’avère chronophage –"un bon quart du temps"- pour des travailleurs sociaux qui doivent s’improviser médiateurs numériques au sein de structures souvent dépourvues des équipements adéquats. 

Passeport social numérique

« L’accès aux droits fondamentaux des personnes est inscrit dans le projet de la délégation Vienne-Deux-Sèvres du Secours catholique », insiste Régis Gruchy. Le responsable associe sciemment précarité numérique et mobilité, mettant ce titre en avant le projet, réfléchi avec la Maison de la solidarité de Fontaine-le-Comte, d’un « véhicule itinérant avec des travailleurs sociaux polyvalents, une connexion Internet... ».

D’autres initiatives, éparses, existent sur le territoire. A Poitiers, le Pimm’s de Saint-Eloi et le CCAS ont ainsi expérimenté l’an dernier (juin-décembre 2018) des ateliers « passeport social numérique », en s’appuyant sur les outils d’Emmaüs Connect, qu’ils ont « fait évoluer selon les besoins ». Dix personnes en ont bénéficié et, note Audrey Veillet, coordinatrice du projet, « au-delà des compétences numériques, nous avons constaté que les participants avaient acquis une meilleure confiance en eux, ils ont créé des liens au sein du groupe".  Pari gagné, donc. La formation « médiateur du numérique » initiée par les Céméa en 2017 n’a pas connu les mêmes résultats mais l’association n’a pas dit son dernier mot. Pour tous, l’enjeu est manifeste et l’urgence bien réelle.

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