« Il y a un tabou sur les violences »

Spécialistes de l’histoire des femmes, Lydie Bodiou et Héloïse Morel co-signent un ouvrage(1) intitulé Une femme sur trois, comme le nombre de femmes victimes de violences conjugales dans le monde. Le sujet est d’une actualité brûlante dans la Vienne.

Arnault Varanne

Le7.info

Après avoir publié plusieurs ouvrages spécialisés sur les violences faites aux femmes, pourquoi avoir décidé d’éditer un livre plus grand public ?
Héloïse Morel : « Avec Une femme sur trois, l’objectif est de produire un ouvrage vulgarisé sur les violences faites aux femmes, qui offre des clés de compréhension d’un système patriarcal où existe encore un droit à disposer du corps des femmes. »

Quelles solutions préconisez-vous pour lutter contre ces violences ?
Lydie Bodiou :
 « Si les bracelets comme en Espagne peuvent empêcher la récidive, il est nécessaire d’y mettre les moyens. Mais il s’agit d’une mesure d’éloignement qui n’est pas curative. Nous devons protéger nos filles et éduquer nos garçons. »

HM : « J’insiste sur l’éducation à la sexualité dès le plus jeune âge. Une loi de 2001, qui de- vrait concerner les élèves du primaire au lycée, n’est pas appliquée. Il y a un tabou sur la sexualité et, de fait, sur les violences car les deux sont liées. Pourtant, pendant la phase de construction de l’identité, le vivre-ensemble et l’acceptation de l’autre sont essentiels. »

« Un problème de formation des policiers »

Au-delà de l’aspect préventif, de nombreuses femmes victimes de violences conjugales déplorent une mauvaise prise en charge de leur situation par la police. Comment y remédier ?
LB : « Il existe effectivement un problème de formation des policiers à l’accueil des victimes. Aller dans un commissariat porter plainte contre son conjoint n’est pas facile, encore moins si la personne en face minimise vos propos ou ne vous croit pas. »

HM : « Le policier doit juste recueillir la parole. Ce n’est pas son rôle de la juger. Or, le sys- tème judicaire français repose sur les preuves apportées par la victime. C’est pourquoi sa parole est mise en doute. Dans le système anglo-saxon, c’est l’accusé qui doit prouver son innocence. »

Dans votre livre, vous dénoncez l’utilisation des termes « crime passionnel » ou « drame familial » pour qualifier les crimes dont le conjoint est l’auteur. Pour quelles raisons ?
LB : « C’est une euphémisation des journaux. Derrière l’idée d’amour, il y a l’idée d’excuse. Mais les choses sont en train de changer. C’est une victoire. La prise de conscience doit main- tenant se faire au niveau de la société. »

HM :« Le fait que les féminicides soient comptabilisés (101 femmes depuis le début de l’année en France, 121 en 2018, ndlr) montre ce basculement. Il y a une identification du phénomène. Même s’il y a plusieurs angles morts sur ces chiffres, à savoir les suicides mais aussi les morts dues à une overdose. »

Des associations féministes réclament depuis longtemps que soit utilisé le terme féminicide. Pourquoi fait-il débat ?
LB : « Un féminicide est le meurtre d’une femme en raison de son sexe. Le système pénal français ne reconnaît pas ce mot en raison de l’égalité de droit ancrée dans la Constitution. Il n’y a donc pas de distinction du crime en fonction du genre. Mais il y a des circonstances aggravantes pour les conjoints. Toutes les lois existent pour pé- naliser, mais elles ne sont pas appliquées. »

(1) Avec Frédéric Chauvaud et Marie-José Grihom. Une femme sur trois - 80 pages. Editions Atlantique de l’Actualité scientifique Nouvelle-Aquitaine. Journée d’étude le 14 novembre, de 9h à 17h, à Mendès-France. Plus d’infos sur emf.fr.

STATISTIQUES
99 féminicides depuis le 1er janvier
L’actualité offre hélas un triste écho au livre Une femme sur trois. Mercredi dernier, une mère de famille de 30 ans a été retrouvée morte à son domicile de Maillé, où elle vivait depuis un mois. Tuée d’un coup de fusil, Sarah Vedel était séparée de son ex-compagnon depuis plusieurs mois. Ce dernier a avoué être l’auteur du tir mortel. Il risque la prison à perpétuité. Sarah Vedel était la 99e victime de féminicide depuis le début d’année en France. Deux autres mortes depuis 

ACTION
Un Grenelle des violences conjugales
La Secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes Marlène Schiappa réunit ce mardi, à Matignon, toutes les associations et acteurs engagés dans la lutte contre les violences conjugales sous la forme d’un Grenelle. La date n’a pas été choisie par hasard puisqu’elle correspond au numéro d’écoute national (39-19) pour les victimes.

EXPOSITION
A Mendès-France à partir du 5 novembre

L’exposition Une femme sur trois, dont est tiré le livre d’Héloïse Morel, Lydie Bodiou, Frédéric Chauvaud et Marie-José Grihom, est à nouveau à l’affiche à l’Espace Mendès-France, du 5 novembre au 5 janvier 2020. Une journée d’études se déroulera le 14 novembre, de 9h à 17h.


Edito
99

Elle s’appelait Sarah et venait de fêter ses 30 ans. Elle a été assassinée à Maillé, dans la nuit de mardi à mercredi dernier. Dans le décompte macabre du collectif « Féminicides par (ex) compagnons », Sarah « porte » le numéro 99 (101 depuis hier, ndlr). Comme le nombre de femmes tombées sous les coups ou les balles depuis janvier. Les années passent, l’hécatombe se poursuit. A l’heure où les réseaux sociaux charrient l’information plus vite qu’un tsunami, les féminicides apparaissent de plus en plus anachroniques. On n’a jamais autant parlé d’égalité femmes-hommes, mis en place des dispositifs d’alerte en faveur des femmes violentées... Il faut croire que le mal est très profond. Les tweets incantatoires de Marlène Schiappa n’y suffiront pas. Pas plus que le Grenelle du 3 septembre à Matignon. L’heure est pourtant à la mobilisation nationale sur ce sujet de société. A l’instar des chants homophobes dans les stades de foot, ça ne passe plus. Nous avons tous une part de responsabilité. Le moindre signe doit nous alerter collectivement. A commencer par une plainte pour menaces et harcèlement. Sarah en avait déposé une à la gendarmerie de Parthenay en mai dernier. Avec l’épilogue que l’on connaît.

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