Hier
Solange Baïkoua. 57 ans. Poitevine originaire du Tchad, mère de trois enfants. Médiatrice sociale et culturelle depuis 2006 au sein de l’association Sanza, dans le quartier des Couronneries à Poitiers. Faite chevalier de l’Ordre national du Mérite en mai dernier, pour son engagement en faveur de la mixité et du vivre-ensemble.
Pour elle, le premier contact est primordial. « Le « Bonjour », c’est l’entrée en lien. Il ouvre les portes du cœur, explique d’emblée Solange Baïkoua, autour d’un café. C’est te reconnaître comme un être humain, comme mon égal. » C’est du moins le sens -bienveillant- que l’on a coutume de lui prêter au Tchad, où est née la médiatrice sociale et culturelle de Sanza, association installée dans le quartier des Couronneries, à Poitiers.
Elle, qui se considère avant tout comme « citoyenne du monde » a quitté son pays pour le chef-lieu de la Vienne à l’âge de 20 ans, suivant les pas de son ex-mari. Sans diplôme ni qualification, Solange a vécu des premiers mois difficiles, s’imaginant un autre accueil. « Ça a été mon premier choc, ici : le manque de lien, les gens qui ne se disent pas bonjour… C’était froid. » Le premier franc sourire reste un souvenir d’autant plus marquant. « Dans un train qui me menait vers Montpellier, un contrôleur était entré en lâchant un « Bonjour » de tout son cœur, plein de chaleur. C’était un soleil, cela ne m’a jamais quittée ! »
« Un agent du développement local »
Mais Solange a du caractère, déterminée à s’intégrer dans sa « société d’accueil ». « En Afrique, on dit : « Adapte-toi pour te faire accepter. » » Elle suit alors quelques formations, commence à travailler, un peu. Surtout, elle s’intéresse à la vie de son quartier -d’abord aux Trois-Cités, puis aux Couronneries-, se rapproche d’associations locales telles que L’Eveil ou le Toit du Monde, prend part au jumelage de Poitiers avec sa ville natale de Moundou… « Ma force, c’est d’aller vers les autres. J’ai eu le courage de m’élever pour ne pas m’isoler. » Entre-temps, elle donne naissance à trois enfants, une fille et deux garçons.
Aussi, Solange assiste à l’arrivée massive de familles immigrées à Poitiers, au tout début des années 2000. Et observe les difficultés d’intégration, les malentendus naissants qui créent des fractures. « La différence culturelle est une richesse, mais peut être source de tensions quand on ne se comprend pas. » Après l’échec d’un projet maraîcher qu’elle désirait porter en Centrafrique, Solange décide donc de cofonder Sanza, en 2000, avec Amina Bobo. « Une association des femmes debout », qui a vocation à lutter contre les discriminations et les inégalités sociales, à venir en aide aux femmes isolées et à leurs familles… Reconversion si évidente. « Je me suis toujours considérée comme un agent du développement local. »
« La stratégie d’évitement ne résout rien dans les quartiers. »
A travers cette structure, Solange met son expérience de femme immigrée au service de ses concitoyennes. Elle leur explique les « codes » français, les accompagne dans leurs démarches administratives… Bref, les amène à s’insérer socialement et à s’émanciper. « Quand on arrive ici, on nous assigne à l’assistanat, regrette la Tchadienne de 57 ans. Mais au quotidien, c’est le système D qui oblige ces femmes à être autonomes, à développer des savoir-faire ! » C’est notamment ce constat qui l’a poussée à lancer, en 2016, le concours « Les Poitevines ont du talent », lequel célèbre les compétences des femmes de quartiers. Cuisine, couture, musique… « Quand tu te sens valorisée, tu donnes le meilleur de toi en retour. »
Au fil des années, Solange s’est imposée comme un relais essentiel aux Couronneries. Notamment auprès de la Caf et des établissements publics (écoles, médiathèques, etc.). « Je suis tellement passionnée par ce que je fais sur le terrain… Il faut aimer les gens et travailler en bonne intelligence avec tous les acteurs. » Médiatrice sociale et culturelle et seule salariée de Sanza depuis 2006, elle a reçu la médaille de l’Ordre national du Mérite, en mai dernier, récompense de son engagement associatif. « Ma première médaille, c’est le jour où des enfants sont venus m’offrir des fleurs qu’ils avaient cueillies, raconte-t-elle d’abord. Je suis contente, c’est une reconnaissance pour tout le travail que Sanza et ses bénévoles ont mené sur le vivre-ensemble. »
« Mon engagement a facilité mon intégration »
Pour Solange, l’action est vitale. « Être investie dans une association m’aide à ne pas broyer du noir, confie-t-elle. C’est aussi mon engagement qui a facilité mon intégration. » Comme une mère pour ses propres enfants, elle guette avec attention les plus jeunes du quartier, « les citoyens de demain ». Elle se réjouit des progrès de la société -la Coupe du monde de football féminin, « ça fait plaisir ! »- mais sait aussi que le chemin est encore long. Mariages forcés, polygamie, excision… Sous le poids des communautés, ces problématiques sont encore une réalité. « Il y a dans ces communautés un mode de vie qui affecte les jeunes, dit-elle, le ton soudain grave. Ce sont des sujets tabous, mais il faut être lucide et les regarder en face. La stratégie d’évitement ne résout rien dans les quartiers. »
Parfois, la parole se libère à l’occasion de « cafés parents », d’ateliers cuisine ou derrière la porte du bureau de Solange. « Mais pour beaucoup de mères de famille, c’est encore compliqué. Nous-mêmes, on s’exclut. Il n’y a pourtant pas de raisons de raser les murs. » Ce qui fait dire à la médiatrice que Sanza aura encore un rôle à jouer dans les années à venir. Et pour longtemps. Avec la bienveillance et la détermination qui l’animent depuis toujours. « Tout reste à faire. »
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