mardi 24 décembre
Solange Baïkoua. 57 ans. Poitevine originaire du Tchad, mère de trois enfants. Médiatrice sociale et culturelle depuis 2006 au sein de l’association Sanza, dans le quartier des Couronneries à Poitiers. Faite chevalier de l’Ordre national du Mérite en mai dernier, pour son engagement en faveur de la mixité et du vivre-ensemble.
Pour elle, le premier contact est primordial. « Le « Bonjour », c’est l’entrée en lien. Il ouvre les portes du cœur, explique d’emblée Solange Baïkoua, autour d’un café. C’est te reconnaître comme un être humain, comme mon égal. » C’est du moins le sens -bienveillant- que l’on a coutume de lui prêter au Tchad, où est née la médiatrice sociale et culturelle de Sanza, association installée dans le quartier des Couronneries, à Poitiers.
Elle, qui se considère avant tout comme « citoyenne du monde » a quitté son pays pour le chef-lieu de la Vienne à l’âge de 20 ans, suivant les pas de son ex-mari. Sans diplôme ni qualification, Solange a vécu des premiers mois difficiles, s’imaginant un autre accueil. « Ça a été mon premier choc, ici : le manque de lien, les gens qui ne se disent pas bonjour… C’était froid. » Le premier franc sourire reste un souvenir d’autant plus marquant. « Dans un train qui me menait vers Montpellier, un contrôleur était entré en lâchant un « Bonjour » de tout son cœur, plein de chaleur. C’était un soleil, cela ne m’a jamais quittée ! »
« Un agent du développement local »
Mais Solange a du caractère, déterminée à s’intégrer dans sa « société d’accueil ». « En Afrique, on dit : « Adapte-toi pour te faire accepter. » » Elle suit alors quelques formations, commence à travailler, un peu. Surtout, elle s’intéresse à la vie de son quartier -d’abord aux Trois-Cités, puis aux Couronneries-, se rapproche d’associations locales telles que L’Eveil ou le Toit du Monde, prend part au jumelage de Poitiers avec sa ville natale de Moundou… « Ma force, c’est d’aller vers les autres. J’ai eu le courage de m’élever pour ne pas m’isoler. » Entre-temps, elle donne naissance à trois enfants, une fille et deux garçons.
Aussi, Solange assiste à l’arrivée massive de familles immigrées à Poitiers, au tout début des années 2000. Et observe les difficultés d’intégration, les malentendus naissants qui créent des fractures. « La différence culturelle est une richesse, mais peut être source de tensions quand on ne se comprend pas. » Après l’échec d’un projet maraîcher qu’elle désirait porter en Centrafrique, Solange décide donc de cofonder Sanza, en 2000, avec Amina Bobo. « Une association des femmes debout », qui a vocation à lutter contre les discriminations et les inégalités sociales, à venir en aide aux femmes isolées et à leurs familles… Reconversion si évidente. « Je me suis toujours considérée comme un agent du développement local. »
« La stratégie d’évitement ne résout rien dans les quartiers. »
A travers cette structure, Solange met son expérience de femme immigrée au service de ses concitoyennes. Elle leur explique les « codes » français, les accompagne dans leurs démarches administratives… Bref, les amène à s’insérer socialement et à s’émanciper. « Quand on arrive ici, on nous assigne à l’assistanat, regrette la Tchadienne de 57 ans. Mais au quotidien, c’est le système D qui oblige ces femmes à être autonomes, à développer des savoir-faire ! » C’est notamment ce constat qui l’a poussée à lancer, en 2016, le concours « Les Poitevines ont du talent », lequel célèbre les compétences des femmes de quartiers. Cuisine, couture, musique… « Quand tu te sens valorisée, tu donnes le meilleur de toi en retour. »
Au fil des années, Solange s’est imposée comme un relais essentiel aux Couronneries. Notamment auprès de la Caf et des établissements publics (écoles, médiathèques, etc.). « Je suis tellement passionnée par ce que je fais sur le terrain… Il faut aimer les gens et travailler en bonne intelligence avec tous les acteurs. » Médiatrice sociale et culturelle et seule salariée de Sanza depuis 2006, elle a reçu la médaille de l’Ordre national du Mérite, en mai dernier, récompense de son engagement associatif. « Ma première médaille, c’est le jour où des enfants sont venus m’offrir des fleurs qu’ils avaient cueillies, raconte-t-elle d’abord. Je suis contente, c’est une reconnaissance pour tout le travail que Sanza et ses bénévoles ont mené sur le vivre-ensemble. »
« Mon engagement a facilité mon intégration »
Pour Solange, l’action est vitale. « Être investie dans une association m’aide à ne pas broyer du noir, confie-t-elle. C’est aussi mon engagement qui a facilité mon intégration. » Comme une mère pour ses propres enfants, elle guette avec attention les plus jeunes du quartier, « les citoyens de demain ». Elle se réjouit des progrès de la société -la Coupe du monde de football féminin, « ça fait plaisir ! »- mais sait aussi que le chemin est encore long. Mariages forcés, polygamie, excision… Sous le poids des communautés, ces problématiques sont encore une réalité. « Il y a dans ces communautés un mode de vie qui affecte les jeunes, dit-elle, le ton soudain grave. Ce sont des sujets tabous, mais il faut être lucide et les regarder en face. La stratégie d’évitement ne résout rien dans les quartiers. »
Parfois, la parole se libère à l’occasion de « cafés parents », d’ateliers cuisine ou derrière la porte du bureau de Solange. « Mais pour beaucoup de mères de famille, c’est encore compliqué. Nous-mêmes, on s’exclut. Il n’y a pourtant pas de raisons de raser les murs. » Ce qui fait dire à la médiatrice que Sanza aura encore un rôle à jouer dans les années à venir. Et pour longtemps. Avec la bienveillance et la détermination qui l’animent depuis toujours. « Tout reste à faire. »
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