L'impétueux

Lee Takhedmit. 34 ans. Avocat pénaliste en vue sur la place de Poitiers. De retour sur l’avant-scène, après une suspension de quatre mois. Bouscule les codes d’une corporation feutrée. Assume sa liberté de ton, ses impatiences et sa relative candeur.

Arnault Varanne

Le7.info

S’il était un phénomène climatique, Lee Takhedmit serait une tornade, voire un ouragan. Du haut de son mètre soixante-trois, il jure pourtant n’avoir « jamais fait d’ombre à personne ». « C’est même le contraire ! », ironise-t-il. A l’en croire, sa traversée du désert forcée pour une histoire d’honoraires(*) lui aurait permis de « s’interroger sur lui-même et de prendre du recul ». Pendant quatre longs mois, l’avocat pénaliste a «voyagé, bricolé, cultivé le secret, la discrétion». Loin des salles d’audience et de son cabinet de la rue Saint-Denis. Mis au banc d’une profession dans laquelle certains ne goûtent guère son succès et ses excentricités, ce pur produit de la « middle class bressuiraise » revient dans l’arène l’esprit (un peu) apaisé.


Mais qu’importe si sa gouaille, son vocabulaire « cash » et son goût pour les bolides allemands de standing dérangent quelques confrères. Il assume ! « Avant de devenir avocat, je ne connaissais pas la jalousie et l’envie. La première fois que j’ai acheté une vraie bagnole, on a commencé à me regarder de travers. La discrétion, c’est quoi ? Rouler en 106?... » La flèche est décochée avec l’assurance de ceux à qui la vie sourit. Depuis sa prestation de serment, en 2006, le rouleau-compresseur du barreau de Poitiers enchaîne les affaires spectaculaires, parfois médiatiques, loin de la capitale régionale. Comme la défense de Yann Bello, devant les Assises de Saintes, à l’automne dernier. Un quadra qui tue son épouse de vingt ans sa cadette. Et une plaidoirie au cordeau, pour éviter « la mort sociale » de son client. Bello sera condamné à vingt-cinq ans, mais a fait appel.

La discrétion, c’est quoi ? Rouler en 106?... » 

 
Lee Takhedmit est assurément son meilleur avocat. Au fond, ce fils d’éducateur spécialisé « issu de la migration algérienne » et d’infirmière psy, troisième d’une fratrie de cinq, adore l’adversité et les challenges. Etre là où on ne l’attend pas. Comme un besoin de reconnaissance permanent... dont il se défend ardemment. « Plutôt une farouche envie de réussir dans la vie. Sa volonté et sa détermination sont très fortes», rectifie l’un de ses amis. La concurrence ? Encore une fois, l’ancien disciple du regretté Jean Damy parle clair : « Comment peut-on me reprocher de piquer des affaires ? Les clients sont libres, il n’y a pas de patrimonialisation de la clientèle. »?

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Lee Takhedmit ne laisse jamais indifférent, avec son côté bravache, impétueux, presque un peu effronté. Mais force est de constater que ses plaidoiries, jamais écrites à l’avance, sont souvent brillantes. Comme son obsession à courir, au sens propre comme au figuré. Il y a quelques années, ses copains lui ont fait remarquer son léger embonpoint, rédhibitoire pour tenir la distance d’un marathon. Au culot, l’ancien meneur de jeu du Basket saint-va- rentais (Deux-Sèvres) a enfilé les baskets. Et achevé l’épreuve rochelaise en 4h12’. Pas suffisant?pour étancher sa ?soif de conquête? sportive. Un an? plus tard, ce papa ?de deux enfants, une fille de 9 ans, un garçon de 7 ans, a bouclé les 42,195m en 3h29’.

« Les clients sont libres »

Cet été, il repartira à l’assaut de l’Ultra-Tour du Beaufortain (105 km)... qu’il avait abandonné aux deux tiers l’année dernière. Il ne lâche rien, jamais. « Il a un instinct de survie et une opiniâtreté hors du commun », reconnaît encore son pote. « Fidèle en amitié », en ménage depuis dix-neuf ans avec la même femme, Me Takhedmit sait pouvoir compter sur son premier cercle pour affronter la tempête au-dehors.
 
La lecture de ses billets hebdomadaires sur son blog donne une indication précise de son état d’esprit du moment. Combatif et déterminé. La prochaine session d’Assises de la Vienne, les 4 et 5 juin, où il plaidera dans trois affaires, devrait lui offrir une nouvelle tribune. Comme à l’accoutumée, il en sortira « épuisé par son (mon) investissement émotionnel ». Pas de quoi faire pleurer dans les chaumières. Le conseil se sait privilégié, dans la peau de son propre patron. « L’illusion de liberté » lui sied comme un gant. Le « phénomène » n’appartient à aucun réseau, aucune caste et compte bien s’affranchir des codes « étriqués » de sa corporation pendant encore quelques dizaines d’années. Alors, ouragan ou tornade ?
 
(*) Décision de la chambre disciplinaire régionale des avocats en juillet 2014, confirmée par la cour d’appel en décembre 2014. L’un de ses confrères du barreau de Poitiers avait contesté des honoraires de résultats. 
 

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