Poitiers et Châtellerault, même combat

Cette année, Le 7 part en quête de ce que l’histoire de Poitiers -et alentours- a laissé dans le présent, dans l’imaginaire collectif, la langue, le droit… Quatrième étape entre Poitiers et Châtellerault pour observer comment le passé et le présent militaires irriguent le territoire.

Claire Brugier

Le7.info

D’Aboville, Dalesme et quelques autres à Poitiers, mais aussi la Manu à Châtellerault… Avant de baptiser des quartiers, ces noms familiers aux Poitevins ont été des casernes, une manufacture d’armes… Soit autant de témoins d’une riche histoire militaire qui a marqué le développement des deux villes. Aujourd’hui son héritage perdure, et pas uniquement dans la toponymie.

L’implantation de casernes à Poitiers est relativement récente. « Poitiers n’est véritablement devenue ville de garnison qu’au XIXe siècle, constate l’historienne poitevine Isabelle Soulard. Mais les militaires étaient présents bien avant car, par sa position géographique de seuil, la Vienne était un lieu de batailles, pour certaines célèbres comme celle de Nouaillé-Maupertuis en 1356, pendant la guerre de Cent Ans contre les troupes normandes. » 
Pour autant, il faut attendre 1785 pour voir une première caserne s’installer à Poitiers. Elle est aménagée dans un couvent déserté en 1783 par les religieuses de Sainte-Catherine de Sienne. Aujourd’hui, le bâtiment héberge les services de l’Insee. La deuxième, Rivaud, du nom d’un général napoléonien, est installée en 1795 dans l’ancien petit séminaire -fait prison sous la Terreur- pour accueillir le 25e Régiment d’infanterie. La compagnie de CRS poitevine lui a succédé rue Léopold-Thézard. Néanmoins, ce n’est véritablement qu’à partir du XIXe siècle que Poitiers s’affirme comme « une ville d’infanterie et d’artillerie », souligne Isabelle Soulard, « avec la création en 1829 du quartier Dalesme puis des casernes des Dominicains, Pasteur, Ladmirault, Aboville -encore aujourd’hui siège de l’état-major de la 9e BiMA-, de la Chauvinerie -transformée en camps de prisonniers sous l’Occupation allemande-, du Parc à Fourrage en 1866, du Parc d’Artillerie (ndlr, quartier militaire des Sables) en 1876… » 
La liste est longue. « En 1900, il y avait 3 500 soldats rien qu’à Poitiers ! », assène Isabelle Soulard. Soit plus d’un cinquième de la population de la ville. Aujourd’hui encore, le Régiment d’infanterie chars de marine (RICM), installé au quartier Le Puloch, et qui fait partie de la 9e Brigade d’infanterie de Marine (BiMA), abrite près d’un millier de soldats.


A Châtellerault aussi

L’histoire militaire est également très ancrée à Châtellerault, où la tradition coutelière a favorisé en 1819 l’implantation de la manufacture d’armes (fermée en 1968) qui a compté jusqu’à 8 000 ouvriers, les 
« manuchards ». « Les manufactures d’armes du Nord étaient trop proches des frontières de la Prusse, on a donc décidé de les délocaliser. A Châtellerault, il y avait l’énergie hydraulique de la Vienne, et déjà la présence de coutelleries. D’ailleurs, la manufacture d’armes a d’abord fabriqué des sabres, avant les fusils, comme le Chassepot qui a servi en 1870 ou le fusil Lebel utilisé plus tard par les Poilus. » 
A partir de 1873 également, le 32e Régiment d’infanterie a été affecté à la subdivision de Châtellerault.

Les effets de la démographie militaire
Indirectement, cette présence militaire historique a généré à Poitiers « le développement de restaurants et de cafés, des guinguettes aussi comme le Fleuve d’été, le Monte-Cristo, Chez Jouteau, le Petit Goret, la Tanche, Chez Guyonneau…, énumère Isabelle Soulard, mais aussi l’implantation de l’hippodrome de La Cadoue, à Biard (ndlr, actif de 1903 jusque dans les années 1960), la construction de belles maisons pour les officiers, le développement de garnis (ndlr, meublés), de la prostitution aussi. Et puis cela a favorisé l’activité d’artisans qui travaillaient à façon pour les uniformes, un bottier rue Coligny, mais aussi des modistes pour les femmes des militaires… Les officiers se mélangeaient avec la noblesse poitevine. Pour les jeunes filles de la campagne ou les petites bonnes, épouser un militaire était l’assurance d’une solde… » Châtellerault a également bénéficié de l’écosystème militaire qui a alimenté des guinguettes comme L’Hirondelle à Cenon-sur-Vienne mais aussi les nombreux cafés implantés sur le boulevard Blossac.

L’industrie aéronautique, un héritage parmi d’autres
La manufacture d’armes de Châtellerault a fermé ses portes à la fin des années 1960 « mais il y avait une main d’œuvre locale sensible à l’esprit militaire », note Isabelle Soulard. Ce n’est donc pas un hasard si de grands groupes de l’aéronautique ont trouvé dans la Vienne un territoire où s’installer, Safran Aircraft Engines, Mecafi, Thalès à Châtellerault, ou encore Dassault Aviation à Biard. « La Vienne compte aujourd’hui quarante-cinq entreprises dans l’aéronautique, soit 3 800 salariés. »
Ce n’est pas davantage un hasard géographique si Châtellerault est l’un des deux sites, avec le Château de Vincennes, à accueillir les Archives de la Défense. Ou si le RICM, régiment le plus décoré de France, a déménagé en 1993 de Vannes, où il était installé depuis 1963, à Poitiers.

Le saviez-vous ? Le général Loïc Mizon, nommé gouverneur militaire de Paris le 1er octobre dernier, est passé par le RICM, pendant trois ans lorsque le régiment était basé à Vannes, puis à plusieurs reprises à Poitiers à partir de 1998. Il a notamment dirigé le premier escadron lors de l’opération Epervier menée au Tchad de février à mai 2000.

Le –
« En 1939-1940, les bombardements subis par Poitiers étaient en partie liés à la présence militaire, note Isabelle Soulard. Même si en contrepoint s’est aussi développé le réseau de Résistance de Lucien Sommen.

Le +
Le terrain d’entraînement du RICM situé sur les communes de Sillars et Montmorillon a servi de décor au film Un Long Dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, succès du box office en 2004.

 

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