Sécurité ou flicage ?

Le Niortais Bekir Gunes réclame 1,4 million d’euros de dommages et intérêts à l’Etat, pour avoir été fiché à tort, pendant quinze ans, comme terroriste. La semaine dernière, alors que le tribunal administratif de Poitiers rejetait sa requête, l’Assemblée nationale votait un texte de loi visant à moderniser les moyens des services nationaux de renseignement pour lutter contre la criminalité.

Nicolas Boursier

Le7.info

Pure coïncidence. Depuis quelques jours, les mésaventures de Bekir Gunes se répandent en gros titres dans la presse. Trois pages dans L’Obs, bientôt, peut-être, le portrait du « Sept à Huit » dominical de TF1. `

S’il est ainsi courtisé, c’est que ce Niortais de 52 ans, né au Kurdistan, mais naturalisé Français en 1993, multiplie les actions contre l’Etat, coupable, selon lui, de l’avoir fiché à tort comme terroriste pendant plus de quinze ans. « J’ai appris par hasard, en 2004, que les Renseignements généraux avaient monté un dossier à mon insu, amoncelant les informations sur ma vie, même les plus intimes, sans jamais m’en informer et me donner l’occasion de m’expliquer et de me défendre. Des recoupements insensés ont été faits, jusqu’à prétendre que j’étais un activiste du PKK, le parti indépendantiste kurde. Un terroriste, moi ? Même avec le recul, je n’arrive pas à m’en remettre ! »

« Besoin de garde-fou »

Le « fichage » a beau être aujourd’hui effacé, Bekir Gunes martèle sa détermination à défier l’Etat. Il lui réclame 1,4 million d’euros de dommages-intérêts, une somme calculée au regard des promotions professionnelles et des subventions qui lui ont été refusées, pendant quinze ans, au seul motif qu’« un doute subsistait sur ses agissements ».

La semaine passée, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa requête. « Mais, au moins pour le principe, j’irai jusqu’au bout. Le Conseil d’Etat et la Cour européenne des Droits de l’Homme, s’il le faut. » Hasard de l’actualité, ce rejet est intervenu au lendemain même du vote, par l’Assemblée nationale, de la nouvelle loi sur le renseignement, qui milite pour le renforcement des dispositifs de surveillance individuelle. Désormais, possibilité va notamment être offerte aux services de renseignement d’accéder aux réseaux des opérateurs (télécoms, services en ligne, hébergeurs de sites…), pour récupérer les données relatives à « toute personne suspectée de trouble à l’ordre public ». « Un dispositif qui va à l’encontre de notre tradition de défense des libertés individuelles, maugrée l’avocate Françoise Arthur, bâtonnière au Barreau de Poitiers. On franchit quelque chose de jamais atteint jusque-là. Les forces de l’ordre et de renseignement n’auront désormais plus besoin de se justifier pour fliquer les gens. Cette loi est dangereuse pour chacun d’entre nous, car elle va favoriser les dérives. »

Intéressé au premier chef, Bekir Gunes lui-même reconnaît que la loi sur les informations et les libertés de… 1978 devait être dépoussiérée. « On a toutefois besoin de garde-fou, précise-t-il. Il me semble notamment essentiel que les décisions de surveillance et, a fortiori, de fichage, ne soient pas le fait d’un seul homme. La collégialité doit être un rempart aux abus ou aux erreurs. Dans mon cas personnel, si on m’avait demandé de me justifier, à telle ou telle nouvelle information soi-disant compromettante, on aurait sans doute évité les interprétations erronées et l’abomination d’un calvaire durable. »

« Un pas en avant »

S’il comprend le Niortais, « victime d’une erreur évidente », Alain Pissard, secrétaire départemental Unité SGP-Police, voit quant à lui un gros avantage à la nouvelle loi. « Elle offre plus de moyens techniques pour lutter contre le terrorisme. C’est un grand pas en avant. Les gens ont peur que l’on s’immisce dans leur vie et, pourtant, ils sont capables de l’étaler au grand jour sur Facebook. C’est paradoxal, non ? Ils doivent bien comprendre que les fichiers nationaux d’antécédents judiciaires sont à la disposition exclusive des services de l’Etat et que les libertés individuelles sont très respectées en France. »

Le policier l’affirme, au Royaume- Uni, par exemple, la vidéosurveillance, les écoutes et la géolocalisation sont omniprésentes. « Et les Anglais vivent très bien avec. » « Après tout, rigole Bekir Gunes, si on avait surveillé mes correspondances informatiques, ç’aurait peut-être été mieux pour moi. On aurait alors constaté que je n’entretenais de relation avec aucune mouvance terroriste. » Vu comme ça…

Photo : Tyler Olson - Fotolia.com

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