Derrière les barreaux, se passe le mot

Sur les six cent quinze détenus du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne, bon nombre sont de confession musulmane. Combien ont des « profils radicaux » ? Les surveillants eux-mêmes avouent leur impuissance à les identifier...

Nicolas Boursier

Le7.info

La prison, creuset de radicalisation. Depuis deux semaines, le postulat fait crépiter les ondes et titille l’orgueil de l’administration pénitentiaire. En coulisses, les surveillants s’époumonent. « Bien sûr que l’islamisme est présent derrière les barreaux. » Depuis la double prise d’otages sanglante de Dammartin-en-Goële et de la Porte de Vincennes, Pascal et Dominique (*) font régulièrement face à des comportements « extrêmes ». « Il n’est pas rare d’entendre des « Je suis Kouachi, je suis Coulibaly » descendre des cellules, assurent-ils en choeur. Certains ne se privent d’ailleurs pas pour nous le balancer, de visu, à la figure. »

Pour ces agents expérimentés, la montée de l’intégrisme n’est pas un phénomène nouveau. Et pourtant, si elle fait peur, sa prolifération est très délicate à établir. « Ici comme dans tant et tant de prisons, les effectifs manquent, confesse Pascal. Les moyens aussi. Nous sommes de plus en plus victimes d’agressions de la part de détenus qui, aujourd’hui plus que jamais, se croient tout permis. Et, hélas, tout est permis. »
Pendant que téléphones portables, stupéfiants « et même couteaux en céramique » échappent allègrement aux fourches caudines de portiques métalliques « dépassés », un autre marché parallèle déploie ses ailes. Celui des clés USB indétectables et des messages de propagande qu’elles renferment. « Nous le savons, reconnaît Dominique, mais depuis que la fouille corporelle est interdite, nous nous sentons démunis. Des visites inopinées dans les cellules permettent parfois de faire des prises sympas, mais c’est peine perdue. Après quelques jours d’isolement et un bon mot de l’avocat, tout redevient comme avant. »

Mission impossible

Désarmés par le « manque de considération » à l’égard de leur profession, les surveillants ont bien du mal à épier tous les faits et gestes. « A titre d’exemple, il est inconcevable, car trop dangereux, d’entrer dans la cour de promenade, explique Pascal. C’est pourtant en partie là que se tissent les relations et se véhiculent les messages. Hélas, les caméras sont incapables de faire des gros plans. Quant aux micros, il n’y en a pas… »

Autre exemple d’exaspération : à Vivonne, certains détenus sont dits « particulièrement signalés ». « Ces « DPS », on nous demande de les suivre dans chacun de leurs déplacements, assène notre interlocuteur. Mais on n’a pas le droit de leur interdire de travailler en ateliers. Ils se retrouvent alors plongés au milieu de quarante ou cinquante comparses. Comment voulez-vous que l’on empêche les rapprochements et les « diffusions d’idées » ? »

Culte intimiste

Et les prêches, dans tout cela ? Samedi dernier, l’aumônier musulman, Mustapha Bihya, était à Vivonne. « J’ai rencontré des détenus très choqués par les événements parisiens », explique-t-il, en fixant à une cinquantaine, voire une centaine en période de ramadan, le nombre de prisonniers se revendiquant musulmans. Dominique nuance. « Je pense qu’il y en a plus. Car bon nombre d’entre eux affichent cette confession uniquement par peur de représailles. » L’aumônier l’assure pourtant : aucun retour officiel ne lui a été fait sur des comportements de radicalisation. « Il faut toutefois rester vigilant, conclut Mustapha Bihya. Ma présence n’est sans doute pas suffisante, mais nous allons élargir le pool. Les problèmes viennent souvent de difficultés psychologiques. Et il faut du temps pour savoir ce que les détenus ont dans la tête. » Un temps qu’hélas, le monde carcéral n’a pas toujours les moyens de mettre à profit… (*)Les prénoms ont été changés.

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