Modiie soit la sociologie

Anaïs Garestier dite Modiie. 29 ans. Streameuse. Chroniqueuse pour Arte et Blast. Se sert du jeu vidéo pour décrypter les sciences politiques et les sujets de société. Résolument féministe.

Charlotte Cresson

Le7.info

Jeux vidéo, sociologie, sciences politiques et féminisme dans un décor chaleureux et un raton laveur en guise de mascotte... Bienvenue dans l’univers éclectique d’Anaïs Garestier, alias Modiie. Si ce nom ne vous dit rien, c’est que vous ne faites probablement pas encore partie des utilisateurs de Twitch. En effet, avec plus de 58 000 abonnés sur la plateforme -même si elle préfère prendre en compte les « viewers » moyens-, Anaïs fait partie des rares à pouvoir vivre de son contenu. Un mélange innovant qu’elle propose aussi sur YouTube, Instagram et les autres réseaux. Son credo ? 
« Toujours amener la discussion vers un aspect sociologique. » 
Le jeu vidéo, lui, agit un peu comme « une porte d’entrée ». « Ça permet de toucher des gens qui ne se seraient pas intéressés et ainsi croiser les publics. » C’est aussi une affaire de famille pour celle qui a commencé à jouer dès qu’elle a eu « l’âge de tenir une manette ». Originaire d’un petit village près de Lusignan, la jeune Anaïs a environ 3 ans lorsque son père, féru de consoles de jeux et « de gadgets en général », 
lui donne « une fausse Game Boy avec Tetris inclus ». Mais son premier souvenir reste Alex Kidd sur Sega Master System. 
« Ce n’étaient pas des jeux de ma génération. A l’époque, on jouait plutôt à la Game Boy. Du coup, on peut dire que j’ai commencé par du rétrogaming », s’amuse-t-elle. Enfant unique, la future Modiie s’occupe grâce aux jeux vidéo et aux livres. « Et c’est ce qui fait [son] taf aujourd’hui. »


« Je n’ai jamais 
arrêté de lire »

Sur Twitch, elle se démarque par son contenu original, notamment composé de lectures. Un concept né un peu par hasard. « J’étais en train de lire un bouquin et je voulais en parler. Au début, ça ne marchait pas trop mais maintenant c’est vraiment un créneau qui attire. » Ce goût pour la lecture, Anaïs l’a développé en allant petite à la bibliothèque avec sa grand-mère. Et quand certains délaissent les livres une fois ados, la jeune femme a continué d’étancher sa soif et multiplié depuis les sujets d’intérêt. « Je n’ai jamais arrêté de lire. » Une curiosité et « un besoin de [se] projeter ailleurs » qui la poussent à quitter son Poitou natal après une scolarité au collège de Lusignan et au lycée du Bois d’Amour de Poitiers pour s’envoler vers Montréal afin d’y poursuivre ses études. C’est ici, à 5 475km de chez elle, que l’aventure du stream commence. On est en 2013. Anaïs a 18 ans. 


« Je préfère être transparente. »

« Personne dans ma famille n’était allé à la fac à part un cousin. Je ne savais pas comment m’exprimer à l’oral, c’était l’horreur. Deux choix s’offraient à moi pour m’entraîner : faire du théâtre d’impro ou me lancer dans le stream. » Pourquoi ce choix ? « C’est moins stressant quand on ne voit pas les gens physiquement », confesse la vidéaste. Modiie commence alors par une Web TV, avec « que des meufs » pour jouer à League of Legends. L’intégration des sciences sociales et de la politique à son contenu intervient en 2019, une fois son master en poche et avec une certaine légitimité. Puis, en 2020, sa chaîne « explose ». 


Monde du travail, féminisme, vieillissement, élections, Rassemblement national… Les sujets abordés sont variés et touchent un large public. Quant à ses opinions, Modiie ne les cache pas, elle est de gauche et l’assume. « Je préfère être transparente, comme ça les gens savent où se positionner. Pendant des années, j’étais en colère contre les streamers qui ne parlaient pas de leurs valeurs. Mais je me suis rendu compte qu’ils n’avaient pas d’éducation politique alors que moi je me sens légitime pour en parler. Mais je dis toujours que c’est mon avis. » Sur Twitch, 
l’ancienne chargée de TD à la fac de Lyon 2 s’adresse à un autre public allant du lycéen au quinquagénaire. Grâce au tchat, les interactions sont possibles et se font dans la bienveillance. 


La complexe 
socialisation féminine

Mais travailler sur les réseaux et parler de jeu vidéo n’est pas chose aisée lorsque l’on est une femme. Si Modiie n’est pas confrontée aux commentaires haineux sur sa propre chaîne, elle l’est en revanche depuis ses débuts de chroniqueuse sur la chaîne YouTube du média Blast. « C’est très fréquent. Ce sont des commentaires qui vont tourner autour de ma coiffure, mon maquillage, ma tenue… Notre apparence est constamment scrutée. Les gens pensent aussi que les chroniqueuses sont de simples présentatrices d’un travail produit par un homme. Au début, c’était dur mais aujourd’hui je sais que ce n’est pas lié à moi. Ça concerne toutes les meufs. » Chroniqueuse également pour l’émission Jour de play, sur la chaîne Twitch d’Arte, la vidéaste a dû se faire violence et s’adapter malgré les injonctions de la socialisation féminine. 
« Je ne voulais pas prendre de place et j’avais peur de couper la parole contrairement aux hommes qui n’hésitaient pas. » 
La streameuse ose désormais s’affirmer et n’hésite pas à parler du sexisme dans l’industrie du jeu vidéo. Un projet ? Peut-être écrire un livre mais « c’est plus un rêve en soi ». Quant à une vie de famille, difficile de l’envisager « quand on bosse sur Internet ». Une chose est sûre, désormais, le nom de Modiie ne vous sera plus étranger.

DR

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