Le 12 novembre dernier, un nonagénaire habitant Migné-Auxances a tué sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, avant de se suicider. Ce fait divers tragique met en lumière la souffrance des aidants, dont la vie se transforme peu à peu en cauchemar quotidien.
Il avait 94 ans, elle 88. Il venait d’être opéré de la hanche et craignait d’être hospitalisé. Elle souffrait de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé. De l’invivable à l’irréparable, Louis a franchi le pas, le 12 novembre dernier, dans «l’intimité» de la maison familiale de Migné-Auxances. Le Parquet de Poitiers a parlé de « drame de la vieillesse ». Un drame que Marie Fau « comprend » sans l’excuser. « C’est une maladie qui renferme, épuise », avance l’aide soignante de l’association Cordiem. Parce que 40% des aidants meurent avant les malades, cette Poitevine a fondé, à l’automne 2013, le premier accueil familial (*) de jour spécialisé dans la maladie d’Alzheimer ou apparentée. Tous les jeudis, Marie accueille, chez elle, trois personnes, pour soulager leur entourage pendant quelques heures.
« Eux peuvent vaquer à leurs occupations et se reposer. De notre côté, nous vivons une journée rythmée par des activités, la préparation du repas, des sorties, des goûters… Le bénéfice est mutuel. » Cordiem cherche aujourd’hui une maison plus grande pour un accueil élargi à tous les jours de la semaine. Encore faut-il franchir le cap de laisser l’autre… A la résidence René-Crozet, le « Relais des sens » propose douze places en accueil de jour. Et là aussi, « il faut convaincre qu'il ne s'agit pas d'un abandon, concède Valérie Jourdain, directrice du service personnes âgées du CCAS de Poitiers. Rester 24h/24 avec une personne qui n'a plus de relation à l'autre, cela peut générer des tensions. »
« Une succession de deuils »
Jeannine Audin a vécu cette situation pendant plusieurs années. Jusqu’à ce qu’un neurologue détecte Alzheimer chez Léon. « À un moment donné, je me suis demandé si ce n’était pas moi qui étais malade. L’entourage me disait « Je le trouve très bien ! » Moi, je voyais sa déchéance de près. Il ne voulait plus se laver, continuait de bricoler la chaudière… Maintenant, quand vous mettez votre mari en Ehpad, vous devez faire votre deuil. J’ai vécu une succession de deuils, en fait. C’est dur. » Son témoignage poignant rejoint celui d’Annie Reau et Christelle Mamodaly. Les deux femmes ont accompagné leur mère vers l’inéluctable. Et trouvé du réconfort dans les liens tissés avec d’autres membres de France Alzheimer.
« On est coupés de la famille, de ses amis. Il faut le vivre pour comprendre. Hélas, mon père a toujours refusé de m’accompagner aux groupes de parole », regrette Annie. Christelle, 30 ans, a bénéficié de davantage d’écoute auprès de son entourage. Cela n’enlève rien à « l’incompréhension » et au « désarroi » liés à la perte des facultés les plus élémentaires. « À un moment, j’ai eu le sentiment de devenir sa maman. C’était troublant. » Comme Jeannine et Annie, la jeune femme ne condamne pas le « geste de désespoir total » du nonagénaire de Migné. Elle veut même croire à un « changement progressif du regard de la société sur Alzheimer ». Là où certains estiment qu’on meurt de son vivant, la bénévole de France Alzheimer ne cherche qu’à « accompagner la vie ». Un message d’espoir…
Un nouveau plan, et après ?
Le gouvernement a annoncé, la semaine dernière, un nouveau plan de lutte contre Alzheimer et les maladies apparentées (Parkinson, sclérose en plaques), couvrant la période 2014-2019. Un catalogue de belles intentions qui ne satisfait pas Jacques Henry. Le président de France Alzheimer Vienne estime que son « financement est nettement insuffisant » pour couvrir les besoins. Dans le département, 7000 personnes souffrent d’Alzheimer.