Depuis vendredi et la divulgation, par Médiapart, d’un document sur la prévention de la radicalisation en milieu scolaire, Jacques Moret s’était muré dans le silence. Le recteur de l’académie de Poitiers en sort pour dire sa vérité, sur le fond et la forme de «l’affaire».
Jacques Moret, avez-vous le sentiment d’avoir été trahi, après les fuites dans la presse du powerpoint sur la prévention de la radicalisation ?
« Il y a quelqu’un qui a cru bon de devoir exploiter un sujet qui n’en était pas un, en le faisant sortir de la sphère académique. C’est grave, cela veut dire qu’un personnel a eu accès à des données qui n’avaient pas vocation à être diffusées à l’extérieur. Je m’interroge sur l’honnêteté, la probité de cette personne. Nous la connaîtrons un jour. »
Allez-vous diligenter une enquête interne ?
« Nous verrons… Mais ce que je veux dire, c’est qu’il s’agit bien d’un diaporama, qui servait à une expression orale. Il y a eu malveillance là-dessus. Ce n’est pas une circulaire, qui a une valeur juridique, contrairement à ce que certaines personnes ont pu dire dans les médias. D’autres ont parlé de racisme de la part de l’académie et des auteurs du diaporama. Je ne peux pas laisser suspecter que certains agents soient racistes. Nous envisagerons également une suite par rapport à ces propos. Les mots ont un sens ! Il faut faire très attention à bien les utiliser, parce qu’ils peuvent véhiculer de la haine entre les personnes. »
« Oui, il y a certaines maladresses »
N’y a-t-il pas, tout de même, des maladresses de langage dans le powerpoint incriminé ?
« Je ne vais pas m’exprimer par rapport à ce qu’a dit la ministre, je ne suis pas l’auteur du document. Oui, il y a certaines maladresses et ce n’est pas tout à fait le langage qu’il aurait fallu employer. Si j’avais dû viser ce document, je ne l’aurais pas fait en l’état. Maintenant, sur le fond, la ministre n’a pas contredit le fait que, dans les académies, il fallait être vigilant sur les dérives auxquelles les élèves pouvaient être confrontées. »
L’initiative du rectorat répond-elle à une radicalisation de certain(e)s élèves en Poitou-Charentes ?
« J’ai un devoir de réserve et je ne vous répondrai pas sur cette question. Maintenant, cette académie tranquille est à l’image de ce qui peut se passer dans d’autres régions de France. Si l’Equipe mobile de sécurité a pris sur elle de mettre en place cette formation, c’est que cela correspond à un besoin, une attente de certains chefs d’établissement. À la base, quelques-uns ont participé à une formation au ministère de l’Intérieur, pour être sensibilisés à certaines dérives. Des faits nous conduisent à devoir protéger les jeunes. »
Quels enseignements en tirez-vous pour l’avenir ?
« L’Education nationale a la nécessité de s’intéresser à toutes les menaces qui pèsent sur les élèves, de façon à les protéger. L’école doit être un lieu où on éduque des jeunes, où on les forme à la citoyenneté et où on les protège. Cela me paraît essentiel. »
L’imam de Poitiers trouve « la méthode très maladroite »
Président de la communauté musulmane de Poitiers, Boubaker El Hadj Amor réagit à la diffusion du diaporama émanant du rectorat… « Je ne mets pas en doute l’intention du rectorat. La lutte contre le terrorisme est une sorte de cause nationale. Maintenant, cela me paraît plutôt du ressort du ministère de l’Intérieur. La méthode est très maladroite, pour ne pas dire dangereuse. Le document indique un certain nombre de signes, qui peuvent être communs à beaucoup de musulmans. Ce document tourne aujourd’hui en ligne et n’importe qui peut le consulter et risque de mettre à l’index une partie de la communauté musulmane. Le rectorat n’a pas pris ses précautions. On ne peut pas dire à l’heure d’Internet qu’un document est seulement à usage interne. Depuis Wikileaks, on sait que tout est susceptible d’être diffusé… »