Vendredi dernier, Médiapart a rendu public, un document interne du rectorat de Poitiers, destiné aux chefs d'établissement de la Vienne. Ce fichier powerpoint vise à encourager les enseignants à repérer les jeunes en voie de « radicalisation ». Mais le procédé est jugé très maladroit…
« Barbe longue non taillée », « cheveux rasés », « perte de poids liée à des jeûnes fréquents », « repli identitaire », « références à l’injustice en Palestine, Tchétchénie, Iraq, Syrie, Egypte »… Voici quelques-uns des signes extérieurs qui indiqueraient une « radicalisation » islamiste selon l'académie de Poitiers. C'est en tout cas ce que détaille un document interne du rectorat, rendu public par Médiapart vendredi dernier.
D'après le site d'information, ce powerpoint, intitulé « prévention de la radicalisation en milieu scolaire », a été présenté en réunion en novembre dernier, puis envoyé à tous les chefs d'établissement de la Vienne. Il débute par une « présentation de la radicalisation ». Il s'agirait d'un « phénomène actuel, sensible, qui peut toucher tout le monde sans exception... » Cependant, et comme le souligne Médiapart, aucune définition concrète « ne vient préciser de quelle « radicalisation » on parle ». Après un rapide rappel historique, balayant en quelques lignes la création d'Al Qaida, l'appel au djihad et l'explosion des conflits au Moyen-Orient, le rectorat se penche sur la « crainte de la radicalisation religieuse ». Des chiffres, émanant du ministère de l'Intérieur, nous apprennent que 934 personnes sont « concernées » par le djihad.
« Clichés et préjugés »
Pour nos confrères, l'académie de Poitiers « manie clichés et préjugés en ciblant les musulmans ». Interrogée sur France 3, dimanche midi, la ministre de l'Education nationale évoque, quant à elle, un document « perfectible ». « Peut-être que les mots ne sont pas parfaits et nous allons en effet améliorer les choses », a ajouté Najat Vallaud Belkacem.
Ce powerpoint aurait été rédigé par l'Equipe Mobile de Sécurité (EMS) de l'académie. « Ces équipes, chargées d'assurer la sécurité dans les établissement scolaires et créées en 2009, travaillent en étroite collaboration avec les préfectures », affirme la journaliste de Médiapart, Lucie Delaporte.
La polémique enfle
Toujours est-il que le document fait largement parler de lui. Le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) se montre indigné et dénonce « un outil phénoménal et ahurissant de stigmatisation dont l’auteur n’est rien moins que notre citadelle que se veut l’Ecole de la République ». Même réaction du côté des syndicats. Magali Espinasse, secrétaire académique du Snes-FSU, a épinglé, sur France Bleu Poitou une « caricature grossière » et des « simplifications outrancières ». Jean-François Roland, secrétaire départemental de l'Unsa, évoque lui des termes « maladroits ». Quant à la Fédération syndicale unitaire, elle s'étonne que « le recteur ait pu laisser diffuser un document aussi caricatural et pouvant conduire à des dérapages fâcheux ».
La « polémique » fait carrément l'objet d'un hashtag #BrefJeMeSuisRadicalisEe sur le réseau social Twitter. « Bonjour @EducationFrance, je présente des signes de radicalisation. Comment puis-je me soigner ? Tatouage ou port du short en hiver ? Merci », rit jaune un internaute. Pour le moment, le recteur de l'académie de Poitiers, Jacques Moret, n'a pas souhaité réagir à cette affaire.