Nouvel épisode de notre série sur les secrets professionnels. Sur le gril, les avocats. Comment gèrent-ils les nombreuses confidences de leurs clients ? Entre droits, devoirs et conscience morale, le pénaliste Laurent Sillard invoque « une vraie exigence de confiance » avec les justiciables.
Dans sa longue et brillante carrière au barreau de Poitiers, il n’a été que rarement confronté à la tentation de la délation. Laurent Sillard se souvient précisément d’une affaire, dans laquelle son client était accusé de viol. « Son ex-compagne m’a appelé pour m’indiquer qu’il avait aussi abusé de ses enfants par le passé… » La conversation n’est pas sortie de ce qu’il considère comme un « sanctuaire », autrement dit son cabinet. « Le type a été condamné à vingt ans de réclusion. Dénoncer des faits antérieurs n’aurait rien changé. D’ailleurs, ils étaient peut-être prescrits. »
À chaque fois que l’un de ses clients s’avance trop loin dans la confidence, le pénaliste l’interrompt. « Il y a des détails que je ne souhaite pas connaître, qui ne m’apportent rien de plus. Et je ne veux pas être pris dans des dilemmes de conscience. » Ainsi va la vie d’avocat, bercé par le flot de la misère humaine, des affaires de mœurs horribles aux escroqueries les plus grotesques. Mais il ne doit pas « dealer » qu’avec la morale. Le secret professionnel est strictement encadré dans la profession. Notamment par le règlement intérieur de l’Ordre national. Dans son article 2, le document stipule que le silence est « général, absolu et illimité dans le temps ».
Passible d’un an d’emprisonnement
Evidemment, comme tous ses confrères, Laurent Sillard se laisse parfois aller à la confidence auprès de ses amis. « Sur des anecdotes, des choses drôles dans lesquels aucune possibilité d’identification n’est possible », s’empresse-t-il de préciser. En dehors de ces quelques incartades, le conseil s’en tient à son devoir de déontologie. L’article 226.13 du code pénal stipule que le contrevenant est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amendes. Le secret d’instruction est placé sur le même piédestal. Mais la législation accorde aussi des droits aux avocats.
La révélation d’atteintes sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans ou encore la dénonciation de crimes ou délits sont autorisées. La liste n’est pas exhaustive. « L’avocat n’a aucune obligation de parler mais, s’il le souhaite, car sa conscience lui dicte, il ne sera pas poursuivi pour violation du secret professionnel », détaille le pénaliste. À la volonté de transparence de plus en plus affirmée de la Chancellerie, Laurent Sillard oppose une « exigence de confiance » avec le client. « Notre cabinet est un sanctuaire, duquel rien ne doit sortir. Et puis, quand vous pensez que quelqu’un est innocent, vous le défendez avec ce petit plus qui peut faire la différence. » En vingt-cinq ans d’exercice, Me Sillard n’a jamais dénoncé personne. En revanche, beaucoup de ses clients lui ont dit merci à la sortie d’une audience.