Fin de vie et droit de mort

Un jury citoyen désigné par le Comité consultatif national d’éthique s’est prononcé, la semaine dernière, en faveur de la légalisation du suicide médicalement assisté. Une avancée déterminante dans le combat que mènent politiques et associations pour la reconnaissance du droit à se libérer du poids de la souffrance.

Nicolas Boursier

Le7.info

Certains grands débats de société sont ignorants des clivages partisans. Preuve en est faite, depuis des années, avec le combat mené par des politiques de tous bords pour la légalisation de l’euthanasie en France.


Comme le sénateur UMP Alain Fouché avant elle, la députée de la Vienne Véronique Massonneau milite pour la reconnaissance légale de l’aide active à mourir, lorsque des personnes en phase terminale, incurables ou victimes d’une dépendance insupportable en font la demande.


Depuis une petite semaine, l’élue d’Europe Ecologie-Les Verts sourit à l’avenir. Car, pour la première fois dans la longue histoire des espérances déçues, une proposition collective et citoyenne vient d’être officiellement formulée en faveur de la reconnaissance juridique du suicide médicalement assisté. « Le jury citoyen rassemblé par le Comité consultatif national d’éthique a pris une décision importante, qui pourrait rompre définitivement avec les dysfonctionnements et l’insuffisance de la loi actuelle, dite Léonetti. Je regrette toutefois que la proposition ne soit pas allée plus loin, en laissant l’euthanasie au stade d’exception. »


Comme Véronique Massonneau, l’ADMD, Association pour le droit à mourir dans la dignité, se félicite de l’« avancée » suscitée par cette proposition, mais dénonce sa frilosité. « Nous demandons toujours à ce que le patient soit le seul décideur, pour faire abréger ses souffrances », tempête Françoise Casado, déléguée de l’association dans la Vienne.
 
Directives égarées


Depuis 2006, la loi Léonetti autorise l’arrêt des traitements jugés ou devenus inutiles et la mise en route de soins de confort sédatifs qui, tout en écourtant la durée de vie, empêchent le malade de souffrir. « Cette loi du «laisser mourir» est mal appliquée », insiste Claudette Pierret, déléguée adjointe de l’ADMD de Longwy, en Meurthe-et-Moselle. Cette dame a vécu de près les affres de la phase terminale, en juin dernier, au chevet de son papa, atteint de deux maladies dégénératives. « Plusieurs fois il m’a demandé d’en finir, plusieurs fois il a pointé ses doigts sur sa tempe, en signifiant que s’il avait un pistolet, il se supprimerait. Je me suis battue des semaines contre l’acharnement thérapeutique, sans être entendue. »


Ciment de ce mur d’incompréhension : des directives anticipées que son père avait rédigées, mais dont il n’avait hélas jamais fait mention à sa fille. « En France, il faut les renouveler tous les trois ans. J’ignorais leur existence. Quand je les ai retrouvées, elles étaient caduques. »


Les propositions de la conférence des citoyens, dont la mise en place a été voulue par le président de la République lui-même, vont à l’évidence servir de support à l’avis du Comité consultatif national d’éthique, présenté fin janvier. Ces propositions excluent la légalisation de l’euthanasie, sauf exception, « pour des situations inextricables d’inconscience du malade ». A la demande des proches, une commission médicale locale ad hoc se réunirait alors pour décider d'accorder le droit de mourir.
 

De quoi parle-t-on ?
La principale distinction entre suicide médicalement assisté et euthanasie réside dans l’association du patient au processus de sa propre fin de vie. A travers l’euthanasie, la décision d’abréger les souffrances est à la fois prise par le corps médical et exécutée par lui. Lors d'un suicide médicalement assisté, c'est le patient lui-même qui effectue l'acte provoquant la mort. En Suisse, en Belgique ou aux Pays-Bas, pays dans lesquels cette pratique est tolérée, ce dernier doit motiver sa demande, parfois devant un psychologue, et avoir tout son discernement pour obtenir le produit létal. Lequel ne peut être administré dans l’enceinte de l’hôpital et hors du contrôle de proches ou d’une association de type ADMD
 

 

 

Ils s’expriment sur le sujet
Selon les statistiques, 92% de Français seraient aujourd’hui favorables à une aide active à la mort. Une bonne partie des médecins eux-mêmes (60%) n’y seraient pas opposés. Un avis que ne partage pas Philippe Boutin, président de la section « médecins » de l’Union régionale des professionnels de santé. « Je réfute le cadre définitif et réglementaire de cette proposition. Pourquoi légiférer pour légiférer ? Pourquoi parler de suicide ou d’euthanasie, alors que la mission du médecin est d’accompagner la vie jusqu’à la mort ? La France a la chance de disposer d’un formidable outil avec les soins palliatifs. Servons-nous en et développons-les, pour rendre les derniers instants le moins douloureux possible. »


Directeur de l’Espace de réflexion éthique Poitou-Charentes, Roger Gil porte, lui aussi, un regard très nuancé sur la nécessité d’une nouvelle loi. « L’idée  d’un suicide médicalement assisté renvoie à l’importance du débat public. Ce sujet mériterait l’avis de tous les Français, car chaque cas a ses particularités. La question posée engendre beaucoup de zones d’ombre. Quel sera, par exemple, le cadre de l’exception d’euthanasie ? Il y a un vrai danger à ne répondre qu’à une partie des problèmes liés à la maladie et à la mort, en mettant toutes les situations de fin de vie dans des cases. Faire une loi, c’est adopter une démarche idéologique, qui contraste avec l’émotion de l’instant. » ?

Dernière prise de position, celle de Mgr Pascal Wintzer. « J’ai récemment passé une journée complète aux soins palliatifs du CHU, explique l’archevêque de Poitiers. Les médecins sont eux-mêmes très partagés sur l’aide à mourir. Eux préfèrent l’accompagnement du bien-vivre. Dans les années 50, Pie XII lui-même reconnaissait qu’il n’y avait rien d’amoral à employer des soins qui abrègent la souffrance, parce que cette souffrance n’est pas tolérable. Mais la loi telle qu’elle est faite permet de la tempérer. Aucun autre cadre législatif ne pourra envisager tous les cas particuliers. »
 

 

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