Ce lundi, se tenait la journée «contre les violences faites aux femmes». Tous les jours, elles se font klaxonner, siffler, insulter... On appelle ce phénomène de société le « harcèlement de rue ». Aujourd’hui, les victimes osent témoigner sur cette « épuisante banalité ».
Scène banale dans une rue commerçante du centre-ville de Poitiers. Une jeune femme, habillée d’un jean et d’un chemisier, se fait accoster par un homme : « Tu su.., mademoiselle ? » Anecdotique ? Malheureusement, non. D’après une étude de l’Insee, 25% des femmes âgées de 18 à 29 ans ont peur dans la rue et 10% subissent des baisers ou des caresses qu’elles ne désirent pas (*).
Ce phénomène est nommé « harcèlement de rue ». La sociologue Marylène Lieber a longtemps travaillé sur ces violences verbales, et parfois physiques, perpétrées dans l’espace public. « Ce n’est pas nouveau, assure-t-elle. Dans les années 70, les féministes soulignaient déjà ce problème. Dans la revue « Le Torchon brûle », les femmes se plaignaient d’être constamment interpellées dans la rue. »
Longtemps passé sous silence, ce sujet émerge dans les médias et dans les discours politiques. Des femmes de tous âges tentent de faire entendre leur voix. Sur le site du mouvement « Hollaback, pour mettre fin au harcèlement de rue », une Poitevine raconte avoir été « suivie dans le bus par deux hommes qui ne comprenaient pas un simple ''non'' ». « J’ai eu droit aux vieux pervers qui te déshabillent de haut en bas, aux propositions “d’aller faire un tour dans ma cité” et ainsi de suite », poursuit-elle.
Les témoignages de ce type sont légion. Compliments douteux, remarques désobligeantes, blagues salaces, insultes sexistes... Le harcèlement prend différentes formes. Sendrine, chef d’entreprise à Chauvigny, se souvient d’une rencontre particulièrement traumatisante : « En sortant d’une inauguration, vers 23h, je suis repartie vers ma voiture garée dans le parking du Tap. Un mec un peu bizarre a commencé à me parler. Je n’ai pas répondu. Il est venu vers moi et m’a dit « Pas la peine de faire ta belle, espèce de connasse ». J’ai filé vers le parking, la main sur ma bombe
lacrymo... » Plus de peur que de mal, mais Sendrine a vécu l’une des plus grandes peurs de sa vie.
Un déni de citoyenneté
Chloé, chargée de mission en recherche d’emploi préfère se passer de jupes, de robes ou de talons pour ne pas subir « les regards appuyés d’hommes qui ne se gênent pas ». Élodie, étudiante en esthétique à Poitiers, a trouvé une astuce : elle fait semblant d’être au téléphone quand un homme l’approche. D’autres femmes refusent carrément de sortir le soir ou de fréquenter certains quartiers... « Le harcèlement de rue entraîne un déni de citoyenneté. Les victimes perdent totalement leur liberté de se mouvoir dans l’espace public. L’usage social de la ville n’est pas le même en fonction du sexe...», détaille Marylène Lieber.
En France, ces « violences » ne constituent pas de délit aux yeux de la loi, sauf en cas d’agression sexuelle. « Pour le moment, il n’existe pas franchement de solution pour enrayer ce phénomène, déplore la sociologue. Je pense qu’il s’agit avant tout d’une question d’éducation. Il faut apprendre aux petits garçons à se comporter avec respect avec les filles. »
Pour le moment, la riposte s’organise sur la toile... Sur Twitter, le haschtag #harcelementderue recueille les doléances des victimes. Le tumblr « Paye ta shnek » recense les phrases les plus lourdes prononcées par les agresseurs. Enfin, le site « Hé mademoiseau ! », inverse la tendance, en listant des répliques qui s’adresseraient à des hommes. Exemple ? « Tu me fais baver... et je parle pas de ma bouche… » Eh non, l’« épuisante banalité » n’est pas unisexe.
(*) « Des insultes aux coups : hommes et femmes inégaux face à la violence », Zohor Djider et Solveig Vanovermeir, division Études sociales, Insee.
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