« Non, la France <br>n’est pas  raciste »

Aurélien Tricot. 37 ans. Camerounais d’origine, profondément attaché aux valeurs républicaines. Alors que l’« affaire Taubira » agite le landerneau politique, l’adjoint à la mairie de Poitiers refuse d’adhérer à la propagande d‘une « France raciste ». Témoignage…

Nicolas Boursier

Le7.info

Votre peau noire vous accorde-t-elle plus « de « droits » qu’à d’autres de parler racisme ?
« Il ne s’agit en aucun cas de droit, mais du devoir d’un citoyen lambda de dire la vérité sur ce qu’il ressent au plus profond de lui-même. Ma conviction viscérale est que la France n’est pas raciste. A la télé ou dans les journaux, les témoignages affluent pour dire qu’elle le serait devenue ou redevenue. Cela veut dire quoi ? Que ce soi-disant racisme est resté dans le formol et nous éclate aujourd’hui à la figure. Ma position catégorique sur le sujet est le reflet d’un vécu personnel et de la certitude qu’on ne peut extrapoler à la généralité le comportement de quelques minorités. Certains Français sont racistes, comme des personnes d’origine étrangère peuvent elles-mêmes l’être à l’égard d’un blanc, d’un jaune ou d’un noir. Je ne suis pas angélique, je ne nie pas qu’il y ait des rejets, des ostracismes, des replis communautaires, mais je ne peux pas laisser dire que la France, au sens de Nation, agite l’étendard de la discrimination. »

Les insultes faites à Christiane Taubira, les prises de position du journaliste Harry Roselmack, qui juge que la France a de plus en plus un « discours raciste », ne vous atteignent-elles donc pas ?
« Ce qui a été fait à Madame Taubira est plus que condamnable, c’est odieux. Mais doit-on répondre à la haine par la haine, je ne le crois pas. Malgré les tensions, je suis convaincu que la France reste une grande terre d’accueil et qu’il faut la respecter en tant que telle. Souvenez-vous de l’Afrique du Sud. L’apartheid était un appareil d’Etat. Mandela a payé cette haine du Noir par de longues années de captivité. Mais quel discours a-il tenu à sa libération ? Il a tout simplement prôné le rassemblement, l’apaisement et la construction d’une identité commune. »

« Oui à l'union nationale »

Vous vous sentez l’âme d’un Mandela ?
« Je n’ai pas cette prétention. Mais je me dis qu’on ne peut combattre l’intolérance en étant soi-même intolérant. Ce rassemblement auquel je crois, mes « amis » politiques doivent d’ailleurs être les premiers à le valoriser. Je dis oui à l’union nationale. Même au plus haut sommet de l’Etat, la concertation et l’écoute de la différence devraient être des moteurs. La politique est hélas encore trop souvent le reflet de notre société, avec des clivages droite-gauche obsolètes qui, justement, attisent le sentiment d’intolérance. »

Les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité que vous défendez tant ne sont-elles pas devenues, sinon utopiques, à tout le moins idéalistes ?
« Mais pourquoi idéalistes ? Si nous ne défendons pas le vivre ensemble, nous allons donner à nos enfants des envies d’ailleurs. Or, moi, je veux que dans quelques années, mes propres fils se regardent dans la glace et ne se posent même pas la question de savoir s’ils sont noirs, métis ou blancs. C’est en cela que la conscience de chacun doit être interrogée. Tenez, un exemple. Pourquoi, selon vous, l’équipe de France de rugby est-elle « mieux vue » par le peuple que celle de foot. Pour ses résultats ? Pff, deux matches gagnés en 2013 ! Non, parce qu’on la voit chanter la Marseillaise avec la larme à l’œil et s’engager sans compter au combat. En la regardant, on ne cherche même pas à connaître l’origine de tel ou tel joueur. Alors qu’au foot, on ne chante pas toujours, on rigole parfois pendant l’hymne, on est un dieu quand on marque deux buts en finale de coupe du monde en 1998 et un Kabyle quand on met à coup de boule à l’adversaire en 2006. C’est cela l’interrogation des consciences. Ne pas se positionner en fonction des événements ou des images qui nous sont renvoyées, mais tenter de partager avec l’autre des valeurs profondes et identitaires. »

« Et si on réinstaurait le service militaire... »

Que feriez-vous en priorité pour renforcer le sentiment de solidarité et le vivre ensemble ?
« La France doit être forte et juste, à l’extérieur comme à l’intérieur de son territoire. Pour cela, l’autorité de l’Etat doit être ferme, pour ne pas servir d’excuse à la délinquance et à la discrimination. Personnellement, je considère qu’une vraie démarche de rassemblement consisterait à se réapproprier notre hymne et notre drapeau, dès l’école. Je rêve aussi de revoir à visage découvert cette France plurielle dont on vantait, il n’y a pas si longtemps, les mérites. A ce propos, pourquoi ne pas réinstaurer le service militaire ? Son existence favorisait le rapprochement des hommes et l’émergence de cette France plurielle, au sein de laquelle le gamin des banlieues faisait ami-ami avec le bourgeois, le black avec le beur. Le service militaire, c’était la cohésion de la Nation. »

Vous n’êtes pas né en France. Cela vous a-t-il gêné, dans votre vie et votre parcours, d’être différent ?
« Je suis effectivement né au Cameroun et ne suis venu en France, à Cerizay, dans le bocage deux-sévrien, qu’à l’âge de 12 ans, avec ma mère, mon beau-père et mes quatre frères et sœurs. Peut-être ai-je été épargné, car je n’ai jamais ressenti de vraies difficultés d’intégration. Jamais je ne me suis senti vu comme un être à part. En politique, j’ai bien essuyé quelques rebuffades. Lorsque j’ai perdu, pour 32 voix, les Cantonales à Vouneuil-sous-Biard, contre un baron de la Droite locale, certains ont jugé bon de me dire : « Tu vois, si tu n’avais pas été noir, tu aurais gagné. » Pendant la campagne, des personnes bien intentionnées avaient même placardé un carré blanc à l’emplacement de ma tête, sur les affiches. A quoi bon répondre à cela ? Répondre, c’est donner encore plus de crédit à l’attaque et à la bêtise, cela n’en vaut pas la peine. Aujourd’hui, je ne me sens pas investi d’un quelconque devoir de représentation. Je ne défends aucune minorité, seulement le droit d’aimer ou pas mon voisin, quels que soient sa couleur de peau, sa religion ou son compte en banque. Le vivre ensemble et le mieux vivre ensemble, c’est accepter les règles du pays qui vous donne le sein et respecter l’autre, y compris et surtout dans ses différences. »

 

À lire aussi ...