Aujourd'hui
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Le Regard de la semaine est signé Jean-Luc Terradillos.
Le quartier des Trois-Cités traîne sa mauvaise réputation comme un fil à la patte. Délinquance, insécurité, incivilités… Les idées reçues sont tenaces. « C’est vrai, concède Francine Mesmin. Dans les années 1980, je n’aurais pas mis un pied dehors après une certaine heure… » La présidente de l’association Pourquoi pas La Ruche se veut toutefois rassurante. « Aujourd’hui, pour rien au monde, je ne quitterais ce quartier. Il y a tout à proximité : commerces, écoles, services, clinique. Et surtout, le calme est revenu. »
Depuis 2006, le quartier bénéfice d’un important programme de rénovation dans le cadre de l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru). Construction de logements sociaux et réhabilitation de bâtiments anciens, ouverture de locaux associatifs et renforcement de la présence policière… « Les Trois-Cités offrent un nouveau visage », clament ses habitants. La réalité des chiffres vient ternir ce discours enthousiaste. Le taux de chômage y est de 28% pour la tranche des 15-24 ans (contre 21,5% pour Poitiers). Plus de la moitié des foyers est non-imposable (45% pour la ville). Enfin, 55% de la population des Trois-Cités perçoit des prestations sociales. Les statistiques de l’Insee tombent comme un couperet… Le quartier est qualifié de « défavorisé ».
Un fossé à gommer
Tout le quartier ? Pas tout à fait. Les Cours et Grand’Maison sont des exceptions. Ces zones pavillonnaires, tournées vers le centre-ville, bénéficient d’une situation socio-économique favorable. Elles concentrent des foyers à hauts revenus, aux niveaux scolaire et/ou professionnel élevé. Près de 60% des habitants des Cours sont propriétaires.
Le portrait de territoire, édité par le Centre socioculturel des Trois Cités, pointe des « difficultés de communication entre le «noyau» du quartier et la périphérie ». « Ça se voit… D’un côté il y a les tours, et de l’autre, les maisons individuelles, note le président du CSC, Mohammed Rhalab. Nous tentons de gommer ce fossé, de mettre en place des moments d’échange, de convivialité. Les hommes montent trop de murs… Il est temps de construire des ponts. »
De nobles intentions qui peinent à se concrétiser. Une trentaine d’habitants des Trois-Cités s’est mobilisée pour réaliser un « diagnostic santé » de la population, afin de mieux cerner les attentes et les besoins. « Force est de constater que la plupart des personnes vivant dans la zone pavillonnaire ont refusé de répondre à l’enquête. Et ce, de façon catégorique, soupire une bénévole. Ces gens ne se sont pas sentis concernés… »
Sentiment d'appartenance
Ces deux populations ne fréquentent pas les mêmes lieux de vie, ni les mêmes commerces. Les uns se retrouvent au centre commercial du Clos-Gaultier ou place de France, les autres préfèrent faire leurs courses à Leclerc ou dans le centre-ville. « Les différences ne doivent pas empêcher le rassemblement, déclare Mohammed Rhalab. Plus les valeurs collectives s’affaiblissent, plus les inégalités augmentent. » Les deux écoles élémentaires, Jacques- Brel et Tony-Lainé, permettent cependant de réunir ces deux « mondes ». Depuis peu, le CSC gère la cantine de ces établissements scolaires. « Ainsi, les parents d’élèves du Clos-Gaultier, des Sables, de Saint-Cyprien, comme des Cours, s’adressent à la même structure. » « C’est une passerelle qui ne demande qu’à être consolidée », assure le président.
Des événements comme le Carnaval ou la fête de quartier créent une véritable « émulation » et encouragent les échanges. « Je ne pense pas qu’il y ait un phénomène de rejet d’un côté de la population ou de l’autre, estime Michel Lacroix, membre actif du comité de quartier. Il s’agit d’un simple sentiment d’appartenance… » A un secteur géographique ou à une classe sociale ? Sans doute un peu des deux.
Trois questions pour un quartier
« Nous militons pour favoriser les échanges intergénérationnels et interculturels. Or, nous constatons que les personnes d'origines sociale, ethnique ou religieuse différentes se mélangent peu. Comment encourager la mixité ? » Francine Cormier, présidente de l'association Espoir.
Héloïse Brulon et Gaby N'Gadou, médiateurs sociaux :
« La mixité est une forme d'utopie. Les différences sont souvent sources de conflits. L'acceptation de l'autre, de sa culture et de sa manière de vivre, demande des efforts importants. Nous le vérifions tous les jours, lors des tentatives de médiation entre voisins. La cohabitation ne se fait pas toujours de manière sereine… Mais le quartier est en pleine évolution. Les problèmes se réduisent peu à peu, grâce à la rénovation urbaine et la variété des logements proposés. La Mérigotte va attirer une population nouvelle et favoriser cette mixité. Ce qu'il faut absolument éviter, c'est la création de « ghetto du pauvre » et « coin des bobos ». Nous n'en sommes pas là… »
« Les parents du quartier sont préoccupés par le manque de place en structure d’accueil des enfants (crèche, centre socioculturel…). Certains habitants ont dû refuser des emplois, faute de moyens de garde. La municipalité peut-elle apporter des solutions ? Didier Mathelin, président de l'association des parents d'élèves de l'école Jacques-Brel.
Anne Joulain, conseillère municipale déléguée à la Petite enfance :
« Nous n'avons pas à rougir de la situation de Poitiers par rapport aux villes de même strate. 1200 enfants sont accueillis dans les crèches de la ville. Cependant, nous avons conscience que les Trois-Cités méritent toute notre attention. La crèche La Frimousse a une capacité de quarante-cinq places. C'est peu… A ce problème s'ajoute le manque d'assistant(e)s maternelles indépendant(e)s sur le territoire. Nous comprenons les parents qui travaillent à temps partiel et qui ont du mal à trouver un moyen de garde pour leur enfant. Le service public a pour vocation à répondre à leurs besoins, mais cela devient compliqué… Les dotations de l'Etat baissent et nous ne pouvons pas, pour le moment, ouvrir une deuxième crèche. Nous réfléchissons à des solutions. »
« Depuis le mois d'octobre, l’association « Abchir, La Réjouissance » loue les locaux d’un ancien magasin de vêtements dans le centre du Clos-Gaultier. Est-ce bien la vocation d'une structure associative de s'installer dans un local commercial ? » Doris Mercier, commerçante au centre du Clos Gaultier depuis 23 ans.
Abdelmadjid Amzil, président de l’association « Abchir, La Réjouissance » :
« Notre objectif est d'apporter du soutien scolaire aux élèves, du CP au baccalauréat, et des cours d'alphabétisation aux adultes illettrés. Le week-end, nous donnerons des cours de langue arabe et de sciences islamiques, l'équivalent du catéchisme chez les chrétiens. Ces formations seront ouvertes à tous, quelles que soient la culture et la religion. Auparavant, nous n'avions pas de local attitré, la municipalité de Saint-Benoît nous prêtait une salle. Nous souhaitions déménager aux Trois-Cités, car c'est la population du quartier qui a besoin de nos services. Ce n'est pas une volonté de notre part de nous installer sur ce site commercial. Si demain, la mairie de Poitiers nous propose un local au centre socio-culturel, nous serons ravis. »
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