Quand le buraliste devient banquier

Dès novembre, les buralistes de la Vienne proposeront à leurs clients des comptes bancaires avec RIB et carte de paiement. Cette initiative privée devrait profiter à tous les interdits bancaires. Mais aussi aux buralistes eux-mêmes, victimes des hausses du prix du tabac. Ce qui ne plaît pas à tout le monde.

Romain Mudrak

Le7.info

Ouvrir un compte bancaire au bureau de tabac du coin, ce sera possible dès novembre dans la Vienne. Une poignée de buralistes, ayant reçu l’aval de l’Autorité de contrôle prudentiel, lanceront cette nouvelle offre, baptisée « Nickel », avant une généralisation au premier trimestre 2014.

L’abonnement annuel à ce pack s’élèvera à 20€. Pour ce prix, les bénéficiaires disposeront d’un compte consultable en ligne, d’une carte de paiement et d’un RIB permettant d’effectuer n’importe quel virement. Pour l’ouvrir, rien de plus simple. Il suffira de présenter une pièce d’identité et un numéro de téléphone mobile. C’est tout. Inutile de justifier d’un revenu minimum ou d’alimenter le compte régulièrement.
En revanche, les clients ne bénéficieront ni d’une autorisation de découvert, ni d’un chéquier. A l’usage, les transactions s’effectueront sûrement davantage par virements et prélèvements, car chaque retrait chez le buraliste sera ponctionné de 0,50€ (1€ pour les retraits au distributeur).

Invité de la matinale de France Inter, le 17 octobre, le co-fondateur du compte Nickel, Ryad Boulanouar, a avoué avoir destiné son produit, en premier lieu, aux « huit millions de Français sous le seuil de pauvreté, pour qui 5 ou 10€ sont très importants ». Plus largement, on peut aussi imaginer que les étudiants, les voyageurs occasionnels ou encore les consommateurs réticents aux achats sur Internet pourraient se montrer intéressés.

Compenser la baisse du tabac

Voilà pour le mode d’emploi. Mais cette opération, c’est surtout une alliance entre la Confédération nationale des buralistes et une start-up nommée « La Financière des paiements électroniques », composée de quatre-vingts investisseurs privés. Confrontés à une baisse de leur chiffre d’affaires liée au tabac -10% en moyenne-, les buralistes cherchent des pistes pour garder leur entreprise à flot : cigarettes électroniques, papeterie, jeux de grattage en font partie. Cette proposition arrive donc au bon moment. Installé à Vouillé, Jean Durand, président du syndicat de la Vienne, est enthousiaste. Il explique le mode de rémunération : « Nous recevrons une commission à la vente du pack, puis un pourcentage sur chaque dépôt effectué en caisse. Mieux, le paiement avec cette carte n’engendrera aucun frais pour le commerçant. C’est un vrai gain. Chez moi, cela représente entre 15 et 30€ par jour. »

Philippe Desbourdes, le patron du Brazza, ne manquera pas cette occasion de compenser la baisse de 5% des ventes de tabac qu’il subit. Il prévoit aussi de se diversifier dans les clés minutes. En revanche, ce gérant espère que le compte Nickel aura plus de succès que les autres cartes prépayées. Il n’en écoule en effet que deux par mois, alors que sa boutique de la rue du Marché, à Poitiers, voit passer un millier de clients chaque jour. Dès l’annonce de cette initiative, jugée plutôt positive dans l’ensemble, c’est bien le choix du lieu qui a provoqué la polémique. Pourquoi avoir choisi les buralistes ? Frédéric Siuda, de l’UFC Que Choisir, s’interroge. Le président de la section locale estime que « les clients du compte Nickel seront tentés de dépenser inutilement de l’argent dans les cigarettes, les paris et les jeux de grattage ». Le rêve du gain tant espéré qui réglerait tous leurs problèmes, en quelque sorte. Reste que ce produit pourrait bien apporter une bouffée d’air frais aux clients, comme aux commerçants.

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