Décrochage scolaire, la lutte des classes

Le décrochage scolaire a été décrété grande cause nationale. Mais l’école peut-elle réellement résorber ce phénomène ? Depuis dix ans, les chiffres stagnent. Seule une minorité très motivée retrouve une place dans la société. Le mal serait, en fait, bien plus profond, selon certains experts qui désignent les inégalités sociales.

Romain Mudrak

Le7.info

Mathias a quitté le collège en 3e. A 16 ans, il s’est retrouvé seul et sans diplôme reconnu. « Je n’avançais à rien, ce n’était pas concret. » Un espoir déçu en apprentissage et le jeune homme rejoint officiellement la catégorie des décrocheurs. Démotivé, il végète pendant un an chez ses parents, sans projet ni rêve. L’éducatrice de son quartier l’oriente finalement vers le service civique. L’association Unis Cité lui propose une mission de neuf mois d’animation en maison de retraite et d’entraîneur de foot pour les enfants des Couronneries. La révélation. « Je suis entré dans la vie active. Les responsabilités m’ont rendu plus mature », confie-t-il aujourd’hui. Désormais, Mathias veut devenir éducateur spécialisé, « pour aider les jeunes », et il sait quelle voie emprunter.

Guérir plutôt que prévenir

Combien de décrocheurs savent réellement ce qu’ils vont faire dans les prochaines semaines ? Selon les dernières statistiques, le système scolaire engendrerait 2 055 sorties sans qualification par an sur un potentiel de 60 000 jeunes. Tous n’ont pas la chance de Mathias. Au prix d’un effort considérable de remédiation, l’Ecole parvient à « raccrocher » un individu sur deux vers une formation qui lui convient davantage.Du moins, dans la théorie. Un tiers rejoint Unis Cité ou la mission locale. 11% disparaissent des radars.

Faute de pouvoir prévenir efficacement le décrochage, l’Ecole s’attelle donc à récupérer les prédecesseurs se soient heurtés à la tyrannie des chiffres. En mars 2013, il a constitué un « groupe de pilotage interpartenarial » afin de réfléchir, entre acteurs de l’insertion, à des dispositifs spécialisés d’accompagnement, mais surtout de prévention. Quels sont les facteurs de risque ? Toute la question est là. Un premier indice se situe dans l’origine des décrocheurs. 42% d’entre eux sont issus d’un lycée professionnel. Pas de quoi étonner Bernard Soulignac. Le proviseur du lycée Louis-Armand raconte que, depuis la rentrée, deux élèves de bac pro « systèmes électronique et numérique » ont déjà renoncé. Une chose qu’il ne verra jamais dans ses filières généralistes. « C’est un problème d’orientation. Ils pensaient pouvoir devenir programmateurs de jeux vidéo. »

L’Ecole est une norme

Orientation mal assumée, phobie scolaire... Pour Mathias Millet, toutes ces causes ne sont que secondaires. Le chef du département de sociologie à l’université de Poitiers estime qu’on ne résorbera pas le décrochage « sans lutter en profondeur contre les inégalités sociales ». Le chercheur a longtemps travaillé sur les ruptures scolaires et, selon lui, une chose est claire, les jeunes des classes populaires constituent la très grande majorité du bataillon de décrocheurs.

« L’Ecole est une construction culturellement arbitraire. Tous ceux qui ne rentrent pas dans le modèle imaginé par la classe dominante sont exclus, alors qu’ils ne sont pas bêtes. Par principe, on veut y intégrer tout le monde, mais l’Ecole n’a pas les moyens d’adapter ses méthodes d’apprentissage », poursuit l’expert. « Nous tendons vers l’individualisation des parcours, mais il faut du temps », rétorque Catherine Dambrine, responsable de la mission de lutte contre le décrochage scolaire au rectorat. Qui cite les entreprises virtuelles, associant théorie et pratique. Le nouveau visage de l’Ecole ?

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