Le juge est une femme

Leur métier les contraint au silence... Début de notre nouvelle série sur le secret professionnel avec Delphine Roudière, juge d’instruction, qui s’attelle à rester discrète pour préserver l’intimité des parties.

Romain Mudrak

Le7.info

Le bureau de Delphine Roudière n’est pas celui d’un grand patron du Cac 40. Plutôt exigu, il ne peut accueillir que quatre à cinq personnes. Et c’est bien suffisant. Témoins, experts, victimes, agresseurs, c’est ici que la juge d’instruction reçoit, depuis quatre ans, les acteurs des crimes les plus sournois, afin de déterminer leurs rôles, à charge et à décharge. Un préalable à tout procès. A ses côtés, sa greffière est toujours là pour enregistrer les déclarations. Un agent des forces de l’ordre est parfois aussi présent pour veiller à la sécurité des protagonistes. Dans ce bureau,
tout ce petit monde est soumis au secret professionnel, afin de protéger l’intimité des parties. « Le secret de l’instruction me permet de rester neutre et objective, assure Delphine Roudière. Le justiciable n’est pas encore condamné. Il faut absolument le préserver des rumeurs. De leurs côtés, les témoins et les victimes pourraient aussi être soumis à des pressions ou des représailles. »
Seul le procureur de la République peut décider de briser le silence. Son but est alors d’éviter la propagation d’informations fausses ou partielles dans la presse. « Ou bien de déminer un début de trouble à l’ordre public, souligne la magistrate du siège. Si un crime est médiatisé, la population et les proches de la victime en particulier exigent souvent de savoir où en est l’enquête. Le risque, c’est de perdre confiance dans la justice de son pays. »

Discrétion naturelle

A la maison, le secret de l’instruction laisse la place à une « discrétion naturelle ». Ses dossiers ne jonchent pas la table de la cuisine. Lorsqu’elle est obligée d’effectuer des heures supplémentaires, Madame le juge travaille dans le calme de son bureau après le coucher des enfants. Cette mère de famille de 40 ans porte le nom de son époux dans le « civil » et ne désire pas voir sa photo dans la presse. Paranoïa ? « Non, je ne souhaite tout simplement pas qu’on me reconnaisse et que ma vie professionnelle envahisse ma sphère privée. C’est la même chose pour la plupart des métiers. »
Les menaces, Delphine y pense, sans en faire une maladie. « Je traite les gens avec courtoisie, en leur assurant qu’ils auront la possibilité de s’exprimer. Ça semble fonctionner, car je n’ai jamais subi de pressions. »
Les préoccupations de son mari sont très éloignées de l’univers judiciaire. Impossible de discuter d’un point de droit avec lui. En cas de doute, le juge trouve refuge auprès de ses collègues. « Je demande parfois à mon compagnon comment il réagirait s’il était dans la situation de la victime ou de l’agresseur, mais sans jamais lui révéler les détails de l’histoire. » Le secret ne concède aucune exception, même pour la famille.
 

Juge d’instruction, qui es-tu ?

On ne voit que lui dans les séries télévisées. Et pourtant, le juge d’instruction n’est saisi que d’environ 5% des affaires pénales enregistrées par le procureur. A Poitiers, cela représente tout de même 210 dossiers, répartis entre les deux magistrats du siège. Les crimes (viol, meurtre, braquage, incendie aggravé...) appartiennent à son champ de compétences. Idem pour les délits « complexes », impliquant plusieurs auteurs ou victimes, et qui nécessitent des expertises, des auditions... Le juge d’instruction pilote l’enquête ou requiert une commission rogatoire pour la confier aux forces de l’ordre.

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