Les sourds se font entendre

Quelle est la place de la langue des signes ? Alors qu’une longue marche protestataire s’est terminée le 28 juin, la communauté sourde s’interroge. À Poitiers, des structures favorisent le bilinguisme pour que la surdité ne soit plus un handicap.

Romain Mudrak

Le7.info

En 1880, un congrès de spécialistes se réunit à Milan et décide d’interdire l’enseignement de la langue des signes. Cette méthode empêcherait les personnes atteintes de surdité de s’intégrer. À l’époque, priorité est donnée à la communication orale. Le Poitevin Patrick Belissen n’a pas choisi Milan comme point final de sa longue marche contestataire par hasard. Entre le 18 mai et le 28 juin, lui-même et six autres militants de la cause ont rencontré des maires et des députés sur le chemin les menant de Paris à l’Italie. « Nous voulons être regardés comme des gens qui ont une culture et une langue originales, et non des handicapés, explique l’art-thérapeute. Qu’on arrête l’hyper médicalisation de la surdité, la prothèse à tout prix et le rejet de la langue des signes. »

Le nombre de sourds en France est estimé à 4 millions. Parmi eux, beaucoup d’enfants accumulent du retard à l’école, faute d’accompagnement crédible. Si l’interdiction de la LSF a officiellement été levée en 1991, le problème demeure. A Poitiers, la situation est pourtant sensiblement différente. A l’école Paul-Blet, une vingtaine d’élèves sourds sont immergés dans les classes ordinaires. Ils apprennent les maths en LSF. « Un co-enseignant s’occupe en permanence du groupe. Les jeunes discutent entre eux. Il travaille en commun avec l’instituteur », explique Clarisse Joubert, présidente de l’association « Deux langues pour une éducation », qui a lancé cette initiative dans sept écoles depuis trente ans. L’Institut régional des jeunes sourds offre aussi désormais une prestation similaire à quatre vingt-dix élèves. Certains ont un suivi continu. D’autres, capables de comprendre les cours traditionnels, reçoivent la visite d’un prof trois heures par semaine en tête à tête. Ici, on laisse le choix entre l’oral et le signe. Mais des cours de LSF sont dispensés. Patrick Belissen et son Organisation pour la sauvegarde des sourds (OSS) aimeraient que ce modèle poitevin soit repris partout en France. Histoire de « susciter une émulation et construire leur identité commune ». Il fallait bien 900 km à pied pour le dire.

 

Poitiers donne de la voix

Poitiers abrite une importante communauté de sourds depuis le milieu du XIXe siècle, grâce à des structures quasiment uniques en France. Dès 1833, la congrégation des « filles de la sagesse » a accueilli, à Larnay (Biard), des jeunes filles sourdes et muettes (aujourd’hui des personnes âgées). En octobre 1856, les Frères de Saint-Gabriel ont fondé, de leur côté, ce qui deviendra l’Association pour la promotion des personnes sourdes, aveugles et sourds-aveugles, dont dépend l’IRJS, mais pas que. L’Apsa est composé de trois pôles : adultes (hébergement et travail), enfants (deux écoles pour sourds-aveugles et déficients mentaux, réunies avenue de la Libération) et services. Enfin, une autre association, Diapasom, accompagne les sourds de 0 à 65 ans, à tous les stades de leur vie.

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