Ça gronde dans les officines

Au cours des deux dernières années, trente-quatre titulaires d’officine ont disparu du paysage sanitaire départemental. Marges réduites, isolements pesants, incivilités récurrentes, installations et reprises rares… Les pharmaciens courbent l’échine.

Nicolas Boursier

Le7.info

Reconnaissons à Michel- Edouard Leclerc un certain don pour l’obstination. Lorsqu’il a une idée en tête, le patron des hypermarchés éponymes sacrifie volontiers au rite de la redite. Le vieux serpent de mer sur la libéralisation de la vente de médicaments non remboursables vient ainsi de ressortir de son chapeau de magicien de l’esbroufe. De quoi faire tourner bourrique le plus conciliant des apothicaires.

« Monsieur Leclerc peut distribuer toutes les boîtes d’aspirine qu’il veut, il lui faudra assumer le service après-vente et les conséquences de mauvaises médications. Et pourquoi ne pas installer un distributeur automatique ? Comme ça, les clients ne comprendront rien à ce qu’ils prennent et feront n’importe quoi. » De son officine de Soyaux, en Charente, Jean-Philippe Brégère affiche clairement son irascibilité. Il faut dire que pour le président de la section « pharmaciens » de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS), sa « caste » a suffisamment avalé de couleuvres pour qu’on ajoute un pavé dans la mare. « En France, une pharmacie ferme tous les trois jours, peste-t-il. C’est bien le signe que quelque chose ne colle pas. »

Erosion démographique
Selon l’Agence régionale de santé, la Vienne aurait ainsi perdu, entre 2010 et 2012, trente-quatre titulaires d’officine. «L’âge moyen de ces patrons grimpe en flèche et il n’y a personne à qui céder, regrette Jean-Philippe Brègère. Les jeunes diplômés préfèrent bifurquer, vers la gestion ou le marketing. Malgré un numerus clausus en hausse, les défections ne sont pas compensées. Peu à peu, notre horizon se bouche.» Et plus encore lorsque sur un territoire donné, les médecins eux-mêmes disparaissent. «Un pharmacien sans médecin autour a une espérance de vie limitée», martèle le président de l’URPS.

Derrière l’évidence d’une démographie en berne et d’un manque cruel de vocations, affleure, depuis deux ans, une autre entrave : la baisse des marges sur les produits vendus. « Moi, je ne me plains pas, relaie Odile Chivot, propriétaire, depuis 2010, de l’une des deux pharmacies de Jaunay-Clan. Il faut toutefois reconnaître qu’aujourd’hui, nous ne gagnons strictement rien sur les médicaments supérieurs à 400€ et que l’essentiel de notre bénéfice s’effectue sur les premiers prix. Les marges se réduisent, les chiffres d’affaires aussi. Je comprends que certains confrères, isolés parfois, mais aussi dans certaines grandes villes, ne puissent plus joindre les deux bouts. »

Alors que les prix des médicaments ont chuté, que les prescriptions ont elles aussi reculé, que l’« obligation générique » a contracté les marges (ndlr : autour de 17%), la dimension « sociale » du métier de pharmacien, elle, n’en finit plus de déployer ses ailes. Au point, parfois, de peser sur le quotidien des professionnels. « Le conseil est notre coeur de métier, renchérit Odile Chivot. Personnellement, je prends le même plaisir à accueillir un toxicomane désorienté qu’une vieille dame en peine. S’adapter à chaque profil est donc une nécessité. Mais cette proximité prend beaucoup plus de temps et d’énergie qu’il y a quinze ou vingt ans. » Selon le pharmacien de Jaunay-Clan, ces nouvelles missions ne sont pas assez valorisées. Ni dans la formation des futurs pharmaciens, ni dans la rémunération des gens en poste. Si l’on veut sauver la profession, peut-être est-ce dans ce sens qu’il faut agir.
 

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