La part des emplois précaires en France s’élève à plus de 15% mais le terme ne recouvre pas une réalité unique. Tantôt passerelles, tantôt voies sans issue, ils concernent aussi bien les salariés que des travailleurs autres comme les livreurs des plateformes Internet.
Le terme n’est pas neuf mais la crise Covid semble l’avoir ravivé, chiffres à l’appui. Selon le Centre d’observation de la société, les « emplois précaires »
représentent en France, en 2023, 15,3% des emplois salariés -en incluant l’apprentissage-, soit deux fois plus qu’en 1980. « La définition est floue. Au sens large, il s’agit des emplois à durée déterminée, qui se définissent comme ceux qui ne permettent pas de se projeter et présentent une insécurité », souligne Ahmed Tritah. Selon l’économiste du travail à l’université de Poitiers, tous les emplois précaires ne sont pas à considérer négativement.
« Ils peuvent être une passerelle nécessaire pour des jeunes diplômés à qui ils permettent d’accumuler des compétences. Ce processus de sas est intéressant. » A contrario, gare au
« phénomène de trappe » d’emplois qui « ne permettent pas de se former pour rejoindre le marché stable ».
Des craintes étendues
A cette dualité s’ajoute aujourd’hui une extension du domaine de la précarité. « Elle a bougé dans l’échelle des compétences. Avant, elle concernait les personnes peu qualifiées mais aujourd’hui, avec l’intégration de l’économie française dans une globalisation qui permet l’externalisation des postes, mais aussi avec l’automatisation et l’intervention de l’IA, le risque de perte d’emploi touche des compétences auparavant protégées. La perception des risques qui pèsent sur le travail est plus importante. » Et certaines évolutions l’encouragent. « On consomme des biens et des services qui produisent des emplois précaires de manière intensive, constate Ahmed Tritah. Le salariat est remis en cause. Il y a des millions de travailleurs qui ne sont ni salariés, ni employeurs, et qui devraient bénéficier de temps de formation et de pause financés par les entreprises. »
Ni salariés, ni employeurs
Les livreurs des plateformes telles qu’Uber Eats, Deliveroo ou Stuart en sont sans doute les représentants les plus emblématiques. Des syndicats se sont déjà positionnés à leurs côtés, comme la jeune Union Indépendants, émanation de la CFDT.
« Tous les livreurs présents dans la Vienne, une centaine sur Poitiers et une trentaine sur Châtellerault, sont sous statut d’auto-entrepreneur, détaille Christophe Rabussier. Leurs revenus sont extrêmement faibles, avec une contrainte supplémentaire : la grande majorité est d’origine étrangère. Sans papiers en règle, ils doivent louer un compte au nom de quelqu’un d’autre, et donc reverser une partie de leurs courses ce qui accroît leur précarité. » Sous la casquette de la CFDT, le syndicaliste dénonce aussi « la précarité laborieuse »,
autrement dit « les temps partiels subis par des gens qui travaillent trop peu pour bien gagner leur vie ».
Dans un secteur comme l’hôtellerie-restauration, la loi a acté une revalorisation salariale à partir du 1er octobre dernier. Toutefois, « en raison de la saisonnalité de nos métiers, les emplois précaires constituent une partie des postes dans le secteur des loisirs, explique Hughes Baalouch, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie de la Vienne. Ponctuels, ils peuvent servir de passerelles. Mais quand, quel que soit le secteur d’activité, les emplois précaires sont plus structurels, les pouvoirs publics ont, selon Ahmed Tritah, un rôle à jouer « pour accélérer le passage vers l’emploi pérenne, en favorisant la formation, la mobilité, l’accès au logement… Chaque jour, 10 000 emplois sont détruits en France et 10 000 emplois sont créés. Et ce ne sont pas les mêmes ! Il faut donc que les personnes puissent bouger et se re-former. »