L'exil forcé de Jean-Marie

Réfugié politique à Poitiers depuis 2003, Jean-Marie Ngbama a mis à profit les douze années qui viennent de s’écouler pour se «reconstruire une vie ici». Sur la route d’un exil forcé, le père de famille congolais évoque ses moments de doute et ses blessures. Sans filtre.

Arnault Varanne

Le7.info

 Il a accepté spontanément de répondre à nos questions. De celles qui consistent à mettre des noms et des visages sur une problématique par trop caricaturée : l’immigration contrainte. Devant l’émotion suscitée par la photo du petit Aylan, Jean-Marie Ngbama ne comprend pas la réaction de ses contemporains. « C’est comme si on découvrait le problème. Nous sommes touchés pour que notre conscience soit tranquille. »

A 57 ans, le Congolais, chassé de Kinshasa pour ses croyances politiques et éthiques (*), cultive la sagesse de ceux qui savent ce que la route de l’exil comporte de sacrifices. En une seule nuit de novembre 2003, l’ancien vétérinaire a « tout laissé derrière lui ». Son job d’abord. Sa femme et ses cinq enfants ensuite, qui ne l’ont rejoint qu’en 2009 dans la Vienne. Sa dignité enfin. « J’ai connu la torture, les représailles. Mais, malgré tout, j’ai le sentiment d’avoir abandonné mon idéal, déposé les armes. Ça fait très mal, même si c’était une question de survie… »

Aujourd’hui, Jean-Marie bosse dans un laboratoire du Conseil départemental de Charente. Ses cinq enfants poursuivent de brillantes études et il détient la nationalité française. « Un sésame qui permet de se projeter dans l’avenir », commente-t-il, sa carte d’identité dans les mains. A son arrivée dans la Vienne, notamment au Toit du Monde, c’est plutôt les sentiments d’impuissance et d’inutilité qui prédominaient. « J’étais là, enfermé entre quatre murs et sans-papiers. Je ne pouvais rien faire et j’avais honte de profiter du travail des autres… »

« Beaucoup de solidarité »

Jean-Marie Ngbama a forcé le destin en convainquant le président de l’université de… Lyon de l’autoriser à suivre un Master. Ce diplôme, conjugué à l’arrivée de ses proches et à la « solidarité de beaucoup de Poitevins », l’ont aidé à poser les fondations de sa nouvelle vie. Ce qui fut moins évident pour ses enfants. « J’étais heureux de les retrouver, mais eux ont vécu cela comme un déracinement ! On ne quitte pas son pays de gaieté de coeur, encore moins quand on a une situation. »

Les questions migratoires brûlantes l’interpellent donc à double titre. « Ces gens-là ne demandent qu’à vivre. Maintenant, je comprends aussi que cette migration massive ne doive pas perturber les institutions en place. Il faut aujourd’hui créer les conditions de la paix en Syrie. » Pour lui, il y eut un aller, mais pas de retour en République démocratique du Congo. Un sanglot l’étreint. « Ma propre mère, je sais qu’elle va mourir et je ne pourrai pas être auprès d’elle. Ça prend aux tripes… » A défaut de pouvoir « changer les choses », le Poitevin a élevé ses enfants dans le but qu’ils deviennent « des enfants du monde », libres de circuler où ils veulent. Libres et non contraints, la nuance est de taille.

(*)Il appartenait à la Ligue des droits de l’homme et pour les droits humains fondamentaux et au Front populaire contre le pouvoir en place. Activiste politique, il fut aussi militant anti-drogue.

À lire aussi ...